Les épidémies des cinquante dernières années nous ont habitués à la transmission de virus des animaux sauvages aux humains, que ce soit le VIH-SIDA contracté au contact des chimpanzés, Ebola provenant des chauve-souris ptéropodidés, le premier SRAS, passé de la chauve-souris à la civette avant d’atteindre l’humain, sans compter l’actuel COVID-19, provenant lui aussi d’une chauve-souris, peut-être via le pangolin.
Le commerce et la consommation d’animaux sauvages vivants ont largement été incriminés. La Chine a d’ailleurs interdit la consommation de civettes suite au SRAS et vient d’interdire la consommation de tous les animaux sauvages suite à l’actuelle épidémie de coronavirus. Pourtant, la chasse et le contact avec les animaux sauvages ne sont pas les seules sources de maladies. L’agriculture porte elle aussi une lourde responsabilité dans l’histoire des épidémies.
L’élevage, à l’origine des grandes maladies historiques
L’élevage occupe une place importante dans l’histoire des maladies. En réalité, une grande partie des infections humaines nous ont été transmises par nos animaux domestiques. En moyenne, chaque espèce d’animal domestique peut nous transmettre 19 virus, alors que cette moyenne est inférieure à 1 pour les espèces d’animaux sauvages. Ainsi, sur les 25 maladies ayant fait le plus de morts dans l’histoire de l’humanité, on en compte entre 8 et 11 qui nous ont été transmises par les animaux d’élevage. Le nombre exact n’est pas connu car il est difficile de reconstituer l’histoire de ces maladies, mais on peut citer la grippe, la rougeole, la diphtérie, la coqueluche, la gastro-entérite à rotavirus, la variole et la tuberculose. En zone tropicale, la maladie de Chagas ou la maladie du sommeil sont transmises aux humains par des insectes, mais qui ne servent que de vecteurs, intermédiaires entre des mammifères, souvent domestiques, et des humains. Ce rôle des animaux domestiques est assez logique si l’on considère qu’ils sont très nombreux (ce qui facilite la diffusion des pathogènes en leur sein) et qu’ils sont fréquemment en contact avec les humains. D’ailleurs, plus une espèce est domestiquée depuis longtemps (donc plus nous sommes en contact depuis longtemps), plus nous partageons un grand nombre de pathogènes. C’est avec le chien, domestiqué avant le début de l’agriculture, que nous partageons le plus de maladies infectieuses. Mais les bœufs et les porcs viennent immédiatement après. Nous partageons une cinquantaine de pathogènes avec chacune de ces espèces. On retrouve ensuite pêle-mêle les chevaux, les moutons, les chèvres, les chats et les chameaux comme sources d’infections.
Mais les animaux domestiques ne sont pas seulement la source de maladies. Ils échangent également de nombreux virus et bactéries avec les animaux sauvages. Cela en fait des intermédiaires idéaux, pouvant transmettre des maladies de la faune sauvage aux humains. En réalité, la majorité des maladies citées ci-dessus ont probablement pour origine des animaux sauvages.
L’exemple de la grippe résume assez bien cette situation. Les influenzavirus, à l’origine de la grippe, sont des virus d’oiseaux sauvages, mais ils peuvent infecter les volailles d’élevage et les cochons. La grippe espagnole de 1918, pourrait être passée à l’humain dans un élevage de volailles du Kansas. A l’inverse, la grippe A (H1N1) de 2009 serait apparue dans des élevages porcins mexicains. Le lien entre grippe et élevage est particulièrement fort. Au XXème siècle, le nombre de volailles et de porcs a fortement augmenté. Cela a conduit à une augmentation de la diversité des influenzavirus affectant ces espèces. En conséquence, le nombre de cas de transmission de ces virus aux humains a également augmenté. Alors que la grippe était une maladie assez rare avant 1918, le développement de l’élevage a peut-être contribué à en faire une cause d’épidémies fréquentes.
La modification des paysages favorise les pathogènes
Mais l’agriculture favorise également les épidémies de manière indirecte, en modifiant les paysages. Au début du Ier millénaire, la croissance de la population de l’Empire Romain s’accompagne d’une importante déforestation en Italie, afin d’augmenter la superficie des terres cultivées. Cette déforestation provoque une érosion importante, qui mène à un envasement des lacs, des rivières et des estuaires. En parallèle, puisque les arbres ne sont plus là pour évaporer de grandes quantités d’eau, le niveau de la nappe phréatique s’élève. Peu à peu, les fonds de vallée, les plaines et les étangs côtiers se transforment en marécages, l’habitat idéal pour les moustiques porteurs du paludisme. Le paludisme devient une maladie endémique largement répandue dans une grande partie de la méditerranée. Sa pression sur les populations humaines sera telle que certaines maladies génétiques (favisme, thalassémie) sont aujourd’hui particulièrement fréquentes dans la région car elles protègent du paludisme, conférant un avantage évolutif. En Italie, le paludisme restera endémique jusqu’aux grands travaux d’assèchement des marais, menés au début du XXème siècle.
Le même processus de développement du paludisme causé par la déforestation peut toujours être observé de nos jours en Amazonie. Mais le paludisme n’est pas la seule maladie favorisée par la déforestation ou la modification des paysages agricoles. Des exemples contemporains peuvent être trouvés en Asie du Sud-Est. Là-bas, les humains pénètrent la forêt pour établir des champs. Cela augmente le contact avec les animaux sauvages, mais favorise également le développement des populations de rongeurs ravageurs des cultures comme le rat d’Asie ou les bandicots. Ces derniers sont porteurs de pathogènes transmissibles aux humains, comme les hantavirus responsables de fièvres hémorragiques, ou comme les bactéries responsables de la leptospirose et de la bartonellose.
Parfois, c’est la faune sauvage qui, privée de son habitat, vient s’établir sur les fermes. C’est probablement ce qui s’est passé en Malaisie vers 1997. Là-bas, la forêt est défrichée pour laisser place aux plantations de palmiers à huile. Privées de leur habitat, des chauves-souris frugivores du genre Pteropus ont émigré vers des fermes où se trouvaient des arbres fruitiers mais aussi des porcs. Il est probable que les porcs aient consommé des fruits partiellement mangés par les chauves-souris et contaminés par leur salive et leur urine. En septembre 1998, les premiers cas d’un nouveau virus, le Nipah, étaient détectés chez des éleveurs, avant de se propager dans tout le pays au gré du commerce des cochons. En moins d’un an, l’épidémie fit 105 morts en Malaisie et obligea à l’abattage d’un million de porcs pour l’endiguer. Depuis, le virus est devenu récurrent en Inde et au Bangladesh.
Un récent webinaire de l’Académie d’Agriculture insistait d’ailleurs sur le risque important de voir émerger de nouveaux pathogènes en Asie du sud-est : une zone où l’expansion des terres agricoles est très rapide mais également une zone très riche en biodiversité, y compris en biodiversité de virus et de bactéries…