Sur votre ferme céréalière et via votre association Clé de Sol, vous prônez une agriculture basée sur le soin des sols. Pourquoi avoir, en tant qu’agricultrice, choisi cet angle de travail ?
Sarah Singla : Le sol est la base de l’agriculture, et par conséquent de l’alimentation. Un bon fonctionnement des sols agricoles est nécessaire pour une bonne santé des cultures et donc des consommateurs. Sans sol, il n’y a ni agriculture, ni civilisation. L’agriculture dite de conservation consiste à protéger au maximum les sols pour maintenir et améliorer leur potentiel agronomique. Elle permet donc la pérennité des systèmes de culture, tant sur les plans environnementaux, que sociaux et économiques. La durabilité de l’agriculture repose sur des techniques qui ne dégradent pas les sols.
Concrètement, comment mettez-vous en place cette agriculture sur votre exploitation ?
SS. : L’agriculture de conservation est basée sur trois piliers : la non-perturbation du sol –ou sa perturbation minimale-, la couverture permanente des sols et la rotation des cultures. Cela consiste en fait à copier la nature, dans laquelle des végétaux variés sont présents 365 jours par an. Concrètement, une fois que nous avons fait la récolte de la culture principale, nous implantons ce que l’on appelle un « couvert végétal » qui va, grâce à ses racines, retenir les particules de terre, éviter l’érosion, en plus de permettre à l’eau de s’infiltrer en profondeur. Et ce couvert végétal pourra être éventuellement récolté ou valorisé en alimentation animale, s’il n’est pas laissé au sol pour le nourrir. Quelle que soit l’utilisation du couvert, nous implantons la culture suivante avec un semis qui perturbe le moins possible le sol. En agriculture de conservation, les racines des cultures et des couverts remplacent le métal des outils de travail du sol. Ainsi, on évite de perturber la vie que le sol contient et de le laisser à nu. Enfin, le dernier grand principe de cette agriculture est la diversité des cultures présentes dans les parcelles. On arrête la monoculture pour favoriser la diversité des cultures, que ce soit dans les cultures que nous cultivons ou dans les associations des plantes entre elles. Il existe encore un niveau supplémentaire à cette agriculture de conservation : l’agriculture de régénération. Elle consiste, en plus de tous les principes énoncés, à introduire des animaux dans le système car ils font aussi partie du cycle de la vie et leur présence contribue à la fertilité des sols agricoles.
Pour ne jamais travailler le sol, et tout de même contrôler les mauvaises herbes, l’agriculture de conservation utilise des herbicides, dont le glyphosate. Pouvez-vous nous expliquer son usage et les éventuelles possibilités de s’en passer ou d’en utiliser moins ?
SS. : En agriculture de conservation des sols, le glyphosate est un outil dans la boite à outils de l’agriculteur. Dans l’agriculture telle que nous la pratiquons, ce produit n’est pas utilisé sur une culture qui va être récoltée et ensuite consommée par des animaux ou des hommes. Il est employé, si besoin, pour stopper la photosynthèse des plantes présentes sur la parcelle juste avant le semis de la culture suivante. En d’autres termes, on stoppe la croissance du couvert afin de faciliter le développement de la culture qui viendra prendre le relais. Ce produit permet donc de réguler ou détruire un couvert végétal ou des mauvaises herbes sans travailler le sol. Actuellement, les alternatives existantes consisteraient à revenir au travail du sol ou à utiliser d’autres herbicides, potentiellement plus problématiques pour la santé ou l’environnement que le glyphosate. Interdire le glyphosate sans solution alternative véritable, serait donc prendre le risque d’un retour en arrière avec des sols nus et travaillés. Cela mettrait en danger une agriculture, qui pour la première fois, a montré que l’on pouvait produire tout en régénérant les sols et en favorisant la biodiversité. Le débat devrait surtout porter sur la vision que l’on a pour l’agriculture française et les objectifs qu’elle doit atteindre.
partir du terrain en répondant aux problématiques des producteurs avec pragmatisme et cohérence.
On voit donc clairement que l’agriculture que vous pratiquez, et les défis auxquels elle est confrontée, nécessite une expérimentation permanente. Comment, dans ce contexte, envisagez-vous le rôle des agriculteurs et des agricultrices dans la recherche agronomique ?
S.S. : Il faut que la recherche soit faite « par, pour, avec et chez les agriculteurs » comme l’a souvent mentionné Lucien Séguy, pionnier dans cette agriculture. La recherche doit se faire en conditions réelles, dans les fermes. En tant qu’agriculteurs, on expérimente beaucoup et on constate régulièrement des phénomènes que l’on ne peut pas forcément expliquer. Il faut donc une diversité de compétences dans nos parcelles pour nous aider à comprendre ce qu’il s’y passe : des spécialistes des insectes, de la physique des sols, de la physiologie végétale ou encore de la microbiologie. Des approches systémiques seront nécessaires pour caractériser et faire progresser les pratiques agroécologiques, complexes car basées sur le vivant. Il faut réussir à prendre en compte dans la recherche la diversité des conditions de sols ou de climats, pour construire les solutions les plus adaptées à chacun.
Au-delà de ces aspects, comment encouragez les agriculteurs à expérimenter pour innover ?
S.S. : Je crois beaucoup à la force des groupes pour progresser techniquement : ce sont autant de lieu d’échanges et de partages de connaissances. Un point important est la mise en place d’un Crédit d’Impôt Recherche pour les agriculteurs proposée par Graines de Mane. C’est très bonne idée pour encourager les agriculteurs à expérimenter. Il faut l’envisager comme un encouragement pour nouer des partenariats et mettre en réseau les différents acteurs avec cette approche « bottom-up » : partir du terrain en répondant aux problématiques des producteurs avec pragmatisme et cohérence.