Notre pain quotidien (2/3) : cinquante nuances de pains

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Face au risque de standardisation de la production boulangère française et à la montée de l’attention des consommateurs pour une alimentation saine, nos pains se transforment, tout comme leurs modes de production.
Boulanger (Pixabay)

Bios, complets, semi-complets, agrémentés de graines, en baguette ou en pavé… La gamme de pains présente sur l’étal de nos boulangeries est aujourd’hui impressionnante. Cette diversité  nous rappelle que le pain n’est pas qu’un accompagnement de nos repas. Trempé dans nos plats pour les saucer, simple support pour du fromage ou du saucisson, il faut bien avouer que le pain est peu considéré comme un aliment à part entière. Pourtant, s’il est bien choisi, le pain peut véritablement présenter de nombreux intérêts gustatifs et nutritionnels. Dans une tribune publiée dans Le Monde en décembre 2016, Christian Rémésy, nutritionniste et directeur de recherche à l’INRA plaide pour « rendre au pain toute sa saveur ». Et cela passe par toutes les étapes de sa production : du choix de la variété à la méthode de panification. Pour avoir des pains nutritifs, la première étape pourrait être de prendre en compte cet objectif dans les critères de sélection des variétés de blé. Essentiellement centrés sur des objectifs agronomiques (rendement, résistance aux maladies), les sélectionneurs de blé ne se sont jusqu’ici que peu intéressés à la teneur en minéraux ou vitamines des blés, ni à leur goût.  Or, deux variétés de blé cultivées et panifiées dans les mêmes conditions pourront au final donner au pain des saveurs différentes.

Des recherches en ce sens ayant pour but de caractériser l’influence du choix variétal ou du terroir dans le goût des pains sont actuellement en cours.  L’ITAB (Institut Technique de l’Agriculture Biologique) met ainsi en place des tests gustatifs : comme l’on goûterait du vin, on goûte du pain. Des expérimentations portent en particulier sur des variétés anciennes de blé, mises de côté car peu productives, mais pouvant présenter des intérêts gustatifs et nutritionnels. De là à parler de terroir panicole comme l’on parle de terroir viticole, il n’y a qu’un pas, que certains producteurs n’hésiteront certainement pas à franchir.

Visite d'essais de variétés
Visite d’essais de variétés de blés bio en Provence (M.Marguerie)

L’incontournable question du gluten

Et le gluten alors ? La question, tant à la mode, mérite d’être abordée. Les précautions d’usage obligent au préalable à distinguer les personnes atteintes de la maladie cœliaque (1% de la population) dont l’alimentation doit strictement exclure tout type de gluten, des personnes se déclarant hypersensibles au gluten. « À la différence de la maladie cœliaque, l’hypersensibilité au gluten n’est pas le résultat d’une réaction immunitaire, ses symptômes beaucoup plus flous sont ceux d’une souffrance digestive qui peuvent être confondus avec un autre syndrome connu sous le nom d’intestin irritable », rappelle Christian Rémésy dans Le Point le 30 juin 2016. L’industrie du sans-gluten, elle, ne semble pas s’encombrer de tels efforts pédagogiques, tant le marché semble rentable. Quoiqu’il en soit, la composition du gluten, tout comme son taux, diffèrent selon les espèces et les variétés de céréales. Le gluten est en réalité un assemblage de protéines (les gliadines et les gluténines), dont le poids peut être plus ou moins élevé. C’est le poids de cet assemblage de molécules qui est incriminé dans l’hyper-sensibilité au gluten : plus il est important, moins le gluten serait digeste. Afin d’accroitre leur résistance au pétrissage intensif, la sélection des variétés modernes aurait eu pour conséquence, une augmentation du poids des glutens qui les composent pour empêcher la pâte de se déchirer. Les variétés anciennes, n’ayant pas bénéficié de cette sélection, sont régulièrement présentées comme comportant des glutens plus digestes.  Les recherches en ce sens méritent d’être poursuivies pour cerner les tenants et les aboutissants de précédés encore mal connus.

 

Le pétrissage intensif au banc des accusés

Au-delà du choix variétal, les procédés de fabrication de la farine et du pain sont particulièrement importants pour en garantir la qualité nutritionnelle. Moudre la farine est en premier lieu une étape importante, et le type de meule utilisé pour cela est un levier considérable pour garantir la qualité de la farine. Les meules de pierre, historiquement présentes chez tous les meuniers, permettent ainsi d’écraser le grain de blé, tout en conservant le germe et la couche à aleurone, deux éléments hautement nutritifs. Les meuniers sont aujourd’hui bien plus souvent équipés de cylindres pour réaliser leur farine. Ces cylindres ne permettent pas de conserver toutes les parties nutritionnellement intéressantes du grain de blé, mais les meuniers  peuvent réincorporer une partie des sous-produits de la farine pour atteindre également une bonne qualité nutritionnelle de leurs farines. Produire des farines semi-complètes, à haute densité nutritionnelle, ne signifie donc pas nécessairement revenir à un passé technique révolu via la généralisation des meules de pierre. Christian Rémésy milite également pour la diminution du pétrissage intensif de la pâte lors de la panification. Il accuse, en effet, ce dernier d’oxyder la pâte et de rendre le pain insipide. A l’inverse un pétrissage de quelques minutes seulement, à vitesse lente, permettrait d’améliorer l’index glycémique du pain, c’est-à-dire d’augmenter le temps nécessaire pour qu’il se transforme en glucose, libéré dans le sang. Autrement dit, plus un pain est aéré, plus il peut être assimilé à un sucre rapide, et inversement. Enfin, l’utilisation de levain à faible dose et d’un long temps de repos de la pâte avant cuisson permettraient de favoriser la pleine expression des saveurs des variétés de blé et de disposer de pains particulièrement digestes. Avec cette méthode, finis les pains où le levain masque trop fortement le goût des blés.

Pétrissage (Pixabay)

A nouveaux pains, nouveaux boulangers

Ainsi, une partie de la filière se préoccupe de proposer aux consommateurs des pains plus nutritifs. Si le pain a toujours évolué au fil du temps, il en va de même de ceux qui le produisent. Parallèlement à l’essor des chaines de boulangeries et des franchises, s’installent aussi des boulangers d’un nouveau genre, souhaitant promouvoir des pains de qualité. C’est par exemple le cas de Christophe Vasseur, gérant de la boulangerie Du Pain et des Idées située dans le Xème arrondissement de Paris, qui réalise des pains issus de farines biologiques. Avec la pratique d’une fermentation de deux jours, contre quelques heures habituellement, le temps est laissé aux arômes des blés de pleinement s’exprimer. Les paysans boulangers, ces agriculteurs qui transforment en pain les céréales qu’ils cultivent représentent également un milieu en plein essor. Cette forme d’organisation permet aux agriculteurs de valoriser au maximum les petites surfaces qu’ils possèdent – une trentaine d’hectares en général – et de maîtriser l’ensemble de leur production : de la mise en terre de leur graine à la vente d’un produit fini pour le consommateur. Si ces nouvelles manières de produire et de consommer du pain connaissent un réel essor en France, elles ne touchent encore qu’une petite partie des consommateurs, souvent les plus avertis. L’enjeu est donc également de mettre en place les conditions de la production en grand nombre de pains à haute valeur nutritionnelle s’insérant dans les exigences, les contraintes et les savoirs faire des filières actuelles de la boulangerie. Des critères de sélection des blés aux méthodes de panification, les pistes en ce sens sont nombreuses. La révolution du pain est peut-être bien en marche.