Le tournesol est une plante étonnante : culture minoritaire, il occupe pourtant une place importante dans plusieurs sociétés du monde. Il orne les statues dans les églises mexicaines tout en étant la fleur nationale de l’Ukraine. Il est le symbole des partis écologistes européens tout en ayant donné son nom à un mouvement de protestation taïwanais. Et cette curieuse capacitée à entrer à la fois dans les assiettes et les esprits explique en partie son histoire, faite d’aller-retours entre l’Amérique et l’Europe.
Le tournesol, de son nom latin Helianthus annuus, est originaire de la vallée du Mississipi, une zone d’où proviennent de nombreuses espèces d’Helianthus, dont son cousin, Helianthus tuberosus, le topinambour.
Le tournesol, était lui, dès -1 000, utilisé pour fabriquer des teintures, et ses graines étaient également consommées grillées, comme c’est encore le cas aujourd’hui, pour l’apéritif. Il réussit tout de même à se frayer un chemin jusqu’au Mexique, à une date inconnue, et peut-être postérieure à la découverte de l’Amérique. Au 16ème siècle, les Aztèques l’utilisent comme offrande aux dieux, en particulier pour le dieu du soleil et de la guerre, Huitzilopochtli. Les noms du tournesol dans les langues amérindiennes du Mexique évoquent souvent le soleil, un symbole presque universel pour cette plante.
L’expérience russe
Comme les Aztèques avant eux, les Espagnols apprécient la beauté du tournesol et l’introduisent en Europe comme plante ornementale. Là, il est cultivé dans divers jardins, comme curiosité botanique. Selon la légende, le tsar de Russie Pierre le Grand est charmé par sa beauté vers 1697 et achète des graines aux horticulteurs hollandais. Planté en Ukraine et dans le sud de la Russie actuelle, il finit par s’échapper des jardins et retourne à un mode de vie sauvage. Peut-être que les rudes conditions climatiques de la steppe russe ressemblent à sa prairie américaine natale. C’est là, dans la steppe, qu’il va subir le deuxième événement important de son histoire. À partir de la fin du 18ème siècle, les Russes se lancent dans une seconde domestication. Cette fois-ci, il ne s’agit plus de produire des graines pour l’apéritif, mais de produire de l’huile. En un siècle, les paysans et sélectionneurs réussissent à faire monter la teneur en huile de 20 à 30% de la masse de la graine ( contre 45-50% aujourd’hui). L’huile de tournesol est particulièrement appréciée en Russie car l’église orthodoxe autorise sa consommation durant le jeûne du carême.
Depuis la Russie, le tournesol se répand en Europe de l’Ouest. À la fin du 19ème siècle, la France exporte même des tourteaux de tournesol (le résidu du pressage de l’huile), utilisés pour nourrir les animaux. Cependant, le gouvernement français ne l’entend pas de cette oreille : il veut développer la culture de l’arachide dans ses colonies d’Afrique de l’Ouest. Le tournesol ne peut résister à la compétition, et la France consommera donc de l’huile d’arachide jusqu’à l’indépendance des colonies.
Le retour aux sources américaines
Mais en Russie, la vie est difficile pour les minorités religieuses, et certaines sont amenées à fuir le pays. À la fin du 19ème siècle, des juifs russes émigrent en Argentine. Ils emportent avec eux leurs variétés de tournesols russes, en particulier la variété « Mammouth ». À l’époque, en Argentine, on consomme surtout de l’huile d’olive. Mais la guerre civile espagnole (1936-1939), puis la seconde guerre mondiale, coupent les exportations. L’Argentine doit trouver un substitut. Une fois encore, la pampa argentine est similaire à la prairie nord-américaine et le tournesol y pousse bien. Rapidement, l’Argentine devient l’un des principaux producteurs mondiaux.
Au Canada, le même processus se reproduit. Mais cette fois ce sont les Mennonites, un groupe protestant d’origine allemande, qui quittent la Russie à la fin du 19ème siècle, puis l’URSS dans les années 1920. Eux aussi emportent dans leurs bagages la variété « Mammouth ». Quand les États-Unis et le Canada développent la culture du tournesol, à partir des années 1930, ils réutilisent les variétés russes.
Retour en Europe, au gré des fluctuations politiques
Après 1960, les colonies africaines de la France prennent leur indépendance. Le Sénégal nationalise les plantations d’arachide et ambitionne de devenir exportateur d’huile. Les huileries françaises se trouvent coupées de leur approvisionnement. Un peu après, les maladies cardio-vasculaires, qui sont alors la première cause de mortalité, deviennent une préoccupation publique. Justement, l’huile de tournesol présente un bon équilibre en acides gras. Elle va servir à confectionner des margarines, une alternative au beurre. A partir des années 1970, c’est la principale huile consommée en France. L’INRA développe un important programme de sélection (basé sur des variétés soviétiques) et met au point les premières variétés hybrides. En France, depuis le début des années 1990, la production couvre à peu près la consommation, mais fluctue au gré des variations de la politique agricole commune. La moitié de l’huile produite est exportée. Une fois de plus, le tournesol voyage à travers l’Atlantique, mais désormais sous forme d’huile ou de margarine.