Vous avez probablement déjà voyagé à travers la France en train ou en voiture, et avez certainement vu défiler… des champs. Pour la citadine que je suis, le qualificatif de « champ » était largement suffisant pour décrire les paysages traversés, qu’il s’agisse de vert, de jaune, ou de terre nue. Mais voilà : j’ai étudié l’agriculture. Aujourd’hui, quand je regarde par la vitre, mon cerveau, qui se complaisait jusqu’alors dans le défilement d’un paysage monotone, tente de reconnaître les plantes poussant dans les successions de parcelles.
Blé, colza, maïs, tournesol, betterave, pomme de terre… sans oublier les pâturages : le voyage est désormais moins ennuyeux. Mais voyons, tout le monde sait reconnaître du tournesol ou du colza ! Me direz-vous. Certes, mais les auriez-vous reconnus au début de leur croissance, quand il n’y a pas encore de fleurs ?
Une faible diversité alimentaire
Ce constat est le résultat d’un processus qui a démarré il y a des milliers d’années : la sélection par l’homme des espèces qui lui conviennent le mieux. Celles qui poussaient le plus à un endroit donné, celles qui donnaient le meilleur rendement, celles qui se conservaient le plus longtemps une fois récoltées… autant de caractéristiques qui continuent toujours à être des critères de sélection aujourd’hui. Et la sélection a été pour le moins drastique puisque parmi les milliers d’espèces végétales, seule une dizaine couvre aujourd’hui 90% de notre nourriture. Dans le monde, la moitié des aliments d’origine végétale consommés est couverte par le blé, le maïs, le riz et la pomme de terre.
Prenons l’exemple d’une céréale, quasiment inconnue alors que cultivée en France : le petit épeautre. C’est l’une des premières céréales domestiquées par l’homme et sa culture était répandue en Europe depuis l’Antiquité. Mais elle a été concurrencée par l’essor de la culture du blé, qui offrait de meilleurs rendements, était plus facilement panifiable et n’avait pas besoin d’être décortiqué. Dès lors, sa culture a reculé pour ne subsister que dans les zones de faibles montagnes où elle s’accommode bien aux sols pauvres, comme en Haute-Provence.
Une céréale remplacée par une autre, mais aux propriétés très différentes : le petit épeautre est en effet réputé pour sa richesse en vitamines et sa faible teneur en gluten. Dans les années 1990, un groupe de producteurs a décidé de relancer sa culture en mettant en place un signe de qualité : l’IGP « Petit épeautre de Haute-Provence », et en mettant en avant ses qualités nutritionnelles. Si la consommation de petit épeautre reste un marché de niche, la France doit aujourd’hui en importer pour satisfaire la demande croissante de la part des consommateurs. Nous acheteurs, exerçons, aussi, une pression de sélection.
On estime à 7 000 le nombre d’espèces dont l’homme s’est nourri au cours des siècles. En 2013, seules 132 figuraient au Catalogue européen des espèces et variétés (qui regroupe les semences autorisées à la vente), et parmi elles, 48 espèces potagères. Preuve que les légumes ont, eux aussi, subi la pression de sélection du rayon de supermarché.