L’agriculture est responsable, à l’échelle mondiale, de 24% des émissions de gaz à effet de serre. Dans le détail, 11% des émissions mondiales sont imputables aux pratiques agricoles, auxquelles il faut ajouter celles dues aux changements liés aux usages des sols, déforestation en tête. La fertilisation azotée, émettrice de protoxyde d’azote, est la première pratique agricole en cause. Produit par les sols cultivés lors de réactions de transformation de l’azote épandu sous forme d’engrais, ce gaz a un pouvoir réchauffant trois cent fois supérieur à celui du dioxyde de carbone. Il est à lui seul responsable de 50% des émissions de gaz à effet de serre d’origine agricole[1]. Autre activité au banc des accusés, l’élevage, dont la production de méthane est responsable de 40% des gaz à effet de serre agricoles. Ce chiffre peut néanmoins être nuancé étant donnée la capacité des prairies utilisées en élevage à stocker du carbone. Enfin, le dioxyde de carbone (CO2) est responsable de 10% des émissions d’origine agricole, du fait de l’utilisation d’énergies fossiles (carburant) par la mécanisation. Au-delà de cette contribution au changement climatique, l’agriculture en est également une victime. L’augmentation constatée des températures est le premier facteur influençant le fonctionnement des agroécosystèmes. Le cycle des cultures se réalise ainsi de plus en plus rapidement. Pour la vigne par exemple, les dates moyennes des vendanges à Châteauneuf-du-Pape se situaient autour du 25 septembre dans les années cinquante, soit quasiment deux semaines plus tard qu’actuellement. Pour le blé, l’apparition des épis se produit en régions tempérées et méditerranéennes en moyenne huit à dix jours plus tôt qu’il y a vingt-ans. Et cette précocité constatée des cycles des cultures n’est pas sans conséquence sur leurs rendements. Elle est en effet responsable d’une diminution des jours pendant lesquels la plante capte activement le rayonnement du soleil, moteur de la photosynthèse et donc de la croissance des végétaux. Au mois de juin, alors que les grains de blé se remplissent, si les températures sont trop importantes (au-dessus de 25 degrés), les grains risquent alors d’être chétifs, abaissant là encore les rendements. Après avoir fortement augmenté pendant cinquante ans, les rendements français du blé et du maïs sont désormais en quasi-stagnation, du fait principal du changement climatique et d’un progrès génétique de plus en plus coûteux pour en atténuer les effets.
La sécurité alimentaire menacée
Mais les conséquences futures du changement climatique sur le rendement des céréales ne sont pas simples à anticiper. Les recherches actuelles sur le blé prédisent des pertes de rendement principalement dans le cas d’une augmentation moyenne des températures supérieure à 2.3°C. Ces pertes pourraient néanmoins être en partie compensées par une augmentation de la teneur en C02, favorable à la photosynthèse. Ce qui n’est pas le cas pour le maïs, qui, dans tous les cas verra ses rendements diminuer du fait du raccourcissement de son cycle de production et de son insensibilité physiologique à l’augmentation des teneurs en dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Selon les plantes et les zones géographiques, les conséquences des changements climatiques risquent d’être très disparates. Selon l’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI), la sécurité alimentaire au niveau mondial est menacée par les changements climatiques d’ici 2050, en particulier en Afrique et en Asie. Là où les rendements des céréales risqueraient d’être fortement affectés en Afrique du Nord, ce sont les dangers de la dégradation des terres qui guettent le Sahel. En Asie, la hausse des températures menace les niveaux de production du riz et les moindres disponibilités en eau devraient engendrer une migration conséquente des zones de production du Sud vers le Nord. L’augmentation mondiale de la population attendue d’ici 2050 risque dans le même temps d’amener 122 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté du fait de la menace que fait peser le changement climatique sur la sécurité alimentaire mondiale, selon une étude de la banque Mondiale.
Sécuriser les productions agricoles
Face à ce constat préoccupant, l’agriculture contient en son sein un vivier de solutions, plus ou moins complexes à mettre en œuvre. En premier lieu, la sélection de variétés plus résilientes face aux changements climatiques est une voie centrale pour le conception des agrosystèmes de demain. Des équipes de recherche travaillent déjà sur la caractérisation des variétés les plus résistantes aux stress hydrique et thermique. Au-delà du simple progrès variétal, c’est une reconception plus globale des pratiques agricoles qu’il apparaît nécessaire d’envisager. L’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) et l’Institut National de la Recherche Agronomique ont pour cela identifié en 2013 une série de mesure permettant d’atteindre cet objectif. En premier lieu, l’étude pointe les marges de manœuvre existantes permettant une réduction des émissions de protoxyde d’azote. Cela passe avant tout par une régulation des doses d’azote, apportées au plus près des besoins de la culture. Des solutions de ce type sont déjà mises en pratique par des Chambre d’Agriculture ou des coopératives qui affinent, avec des modèles agro-climatiques, les prévisions de rendement des céréales en cours de culture au regard du climat de l’année. Cela permet alors aux agriculteurs d’ajuster au mieux les doses d’azote apportées en fonction du rendement attendu expliqué par le climat en cours. Ces méthodes permettent d’éviter les sur-fertilisations, basées généralement sur le rendement espéré, par nature souvent maximisé : plus l’on espère produire, plus l’on met d’azote pour satisfaire aux besoins de la culture. Par ailleurs, l’introduction de légumineuses, capables de fixer naturellement l’azote de l’air, dans les rotations et l’utilisation de couverts végétaux sont autant de leviers permettant de diminuer l’utilisation d’engrais azotés de synthèse, avec tout de même le risque d’abaisser les rendements agricoles. En ce sens, l’absence de fertilisation chimique en agriculture biologique est un des principaux facteurs explicatifs de sa moindre contribution moyenne au réchauffement climatique que l’agriculture conventionnelle.
Les sols agricoles, potentiels puits de carbone
Outre le développement de modes alternatifs de nutrition azotée des cultures, l’enjeu pour l’agriculture est d’augmenter la capacité de ses sols à stocker du carbone et d’en limiter les pertes. Pour cela, l’augmentation des taux de matière organique reste encore l’outil le plus efficace. En plus d’assurer aux sols une meilleure capacité de rétention en eau et une fertilité accrue, la matière organique peut jouer un rôle d’amortisseur du changement climatique. Selon des estimations effectuées par l’INRA, un à trois millions supplémentaires de tonnes de carbone pourraient être stockées annuellement dans nos sols agricoles, soit de quoi compenser 4% des émissions annuelles de gaz à effet de serre en France. Au niveau mondial, une augmentation annuelle de 4 pour 1000 du taux de matière organique contenu dans les sols agricoles, permettrait même de compenser l’ensemble des émissions annuelles de gaz à effet de serre produits par la planète en un an. L’enjeu est donc de couvrir au maximum les sols agricoles par les végétaux puisqu’en se décomposant, une plante permet d’enrichir le sol en carbone (capté par la photosynthèse) sous forme de matière organique. Les couverts végétaux, le développement des prairies et l’agroforesterie sont donc des pratiques vertueuses en complément éventuellement de fournitures de matières organiques animales au sol via des fumiers par exemple. Ajoutée à cela, la réduction des labours est un moyen permettant de limiter le déstockage de carbone par les sols agricoles et présentant également l’avantage d’une consommation moindre de carburant en laissant la charrue au hangar. En étant gestionnaire des matières organiques et du bon fonctionnement de leurs sols, les agriculteurs sont donc les premiers acteurs du développement d’une agriculture « climato-intelligente », réclamée par de nombreuses institutions scientifiques. Reste le nécessaire encouragement de ces pratiques par les politiques publiques et la mise en réseau des agriculteurs et chercheurs pour soutenir cette intelligence collective dont nous avons tant besoin pour notre futur.
[1] Données issues du Cahier INRA/Pour la science : « l’adaptation au changement climatique », mars 2015