L’agroécologie est un concept. Théorisée dans les années quatre-vingt par Miguel Altierri, professeur à l’université de Berkeley, elle prône le rapprochement de deux disciplines que sont l’agronomie et l’écologie. S’il n’y a pas de définition officielle de l’agro-écologie, il est communément admis qu’elle permet la production agricole, tout en visant à préserver les ressources naturelles et à limiter les pollutions. Pour atteindre cet objectif, on s’intéresse au fonctionnement global de l’exploitation agricole plutôt que de considérer les pratiques de manière isolée. C’est bien tout un système que l’on fait progresser en cohérence : on parle alors de diversification des rotations, de réintroduction d’une plus grande biodiversité dans les champs cultivés, d’une attention portée à la vie des sols… Et c’est là que commencent les débats et les disputes : quelles sont les pratiques qui peuvent – ou ne peuvent pas – se réclamer de l’agroécologie ?
A partir du moment où l’agroécologie est un concept, sa mise en œuvre concrète se matérialise nécessairement de différentes manières sur le terrain : agriculture biologique, non-labour, semis direct, agroforesterie, systèmes associant élevage et agriculture, permaculture… Les récents entretiens réalisés par Graines de Mane l’attestent : chacun a sa vision de l’agroécologie. Là où pour Marc Dufumier, elle trouve son idéal actuel dans l’agriculture biologique, elle est principalement basée sur la couverture des sols et le non-labour pour Frédéric Thomas, quitte à utiliser des pesticides de synthèse de manière raisonnée. Ces débats sur la définition de l’agroécologie, bien que passionnants, ne seront jamais tranchés : un concept ou une idée peuvent s’appliquer et s’interpréter de mille manières différentes.
L’agroécologie est surtout pertinente dans sa diversité
Pour sortir de ces débats ayant pour effet pervers de diviser les dynamiques de progrès agricoles, une vision inclusive de l’agro-écologie peut être proposée. Elle aurait alors pour mérite d’inclure toutes les formes de progrès appréhendant l’exploitation agricole comme un système global dont le fonctionnement est amené à évoluer pour produire autrement. Peuvent y être intégrées les diverses formes d’agricultures déjà évoquées, qui peuvent être alors considérées comme des cheminements parallèles et complémentaires afin de de produire mieux. Aucune de ces agroécologies ne sera parfaite sur l’ensemble des indicateurs permettant d’étudier leurs avantages et impacts. Là où l’agriculture biologique sera performante sur la qualité de l’eau ou de l’air, elle a encore des marges de progrès à réaliser concernant sa capacité de produire en quantité ou sa dépendance au labour, pointé du doigt comme déstructurant des sols. L’agriculture de conservation sera, au contraire, très performante sur la qualité des sols, mais pourra être critiquée pour sa dépendance encore importante aux herbicides, Glyphosate en tête.
Différencier les agroécologies, ne pas les opposer
Chacune des formes d’expression de l’agroécologie est donc complémentaire. S’il convient de les différencier pour les objectiver et en mesurer leurs effets, positifs comme négatifs, les opposer serait délétère et pourrait même se révéler contre-productif. Des ponts et des échanges fructueux peuvent être encouragés sur le terrain entre diverses manières de pratiquer l’agroécologie. Dans ces échanges résident des marges de progrès pour chacune de ces formes innovantes d’agronomie. On peut citer en exemple des projets visent à rassembler des agriculteurs en bio souhaitant diminuer l’utilisation du labour et des agriculteurs non bio pratiquant l’agriculture de conservation avec herbicide. Les techniques des premiers pour se passer des herbicides sont alors susceptibles d’intéresser les seconds. De la même manière, les agriculteurs biologiques auront sans doute beaucoup à apprendre du fonctionnement des systèmes agricoles sans labour et avec une couverture permanente du sol, pour l’adapter à leur propre cadre de contraintes. Faire des ponts entre ces démarches pour les faire progresser conjointement aura certainement plus d’effets que de les opposer sur la seule question de l’utilisation de pesticides ou de la charrue. Des courants et des expérimentations d’agriculture de conservation en bio se développement d’ailleurs dans de très nombreux territoires.
Les agroécologies façonnent une nouvelle définition du travail des agriculteurs, véritables ingénieurs du vivant amenés à concevoir, penser et adapter leurs manières de produire en permanence, en composant avec la nature.
Un laboratoire à ciel ouvert
L’agroécologie est donc très intensive en connaissances, et le sera encore davantage demain pour augmenter encore ses performances. Une diversité de pratiques de l’agroécologie est donc une condition même de ses progrès : divers systèmes apportent, par leur singularité, de nouvelles connaissances du fonctionnement du vivant, inspirantes pour toutes les démarches de progrès. Par ailleurs, les agroécologistes rebattent les cartes d’une conception désormais dépassée du développement agricole : la recherche trouve des innovations et les agriculteurs les appliquent. La pratique des agroécologies est donc amenée à devenir un laboratoire à ciel ouvert d’une ampleur exceptionnelle où agriculteurs et chercheurs comprennent ensemble le fonctionnement du vivant pour en tirer durablement le meilleur profit. Au-delà de leurs intérêts environnementaux, les agroécologies façonnent une nouvelle définition du travail des agriculteurs, véritables ingénieurs du vivant amenés à concevoir, penser et adapter leurs manières de produire en permanence, en composant avec la nature. La vision émancipatrice des agroécologies mérite donc d’être soulignée : les paysans ne sont plus de simples applicateurs de recettes dictées par leurs techniciens, mais de fins observateurs et acteurs du vivant. Biologiste, entomologiste, pédologue, paysagiste, écologue … déjà multifacettes, le métier d’agriculteur requerra encore plus de compétences demain qu’aujourd’hui.
Du politique au consommateur : soutenir les agroécologies pour favoriser leurs réussites
Exclure des agroécologies de ce train déjà en marche, aurait donc pour conséquence dramatique de casser des démarches importantes de progrès déjà entamées et réclamées par la société. Chaque agriculteur doit ainsi composer avec les réalités qui sont les siennes : les exigences de son terrain et de son climat, les réalités économiques des marchés agricoles et l’exigence justifiée de l’amélioration des conditions de travail et de qualité de vie. A nous, consommateurs (trices) et citoyen-ne-s de contribuer à la réussite des projets agroécologiques par ce que nous mettons dans notre assiette et nos revendications. Ces solutions, aussi innovantes soient-elles, trouveront leur réussite dans une organisation sociétale dans laquelle les productions agricoles seront payées à leur juste valeur, les services environnementaux des agroécologies reconnus et soutenus et les dialogues entre agriculteurs et consommateurs permanents.