Deux études publiées par le CNRS et le Museum d’Histoire Naturelle en mars dernier ont fait grand bruit dans le monde scientifique et médiatique. Et pour cause, puisqu’elles dressent un constat accablant : les oiseaux des campagnes françaises disparaissent à une vitesse vertigineuse. Grâce à un programme de sciences participatives rassemblant des ornithologues professionnels encadrés par le Muséum d’Histoire Naturelle, il a été possible de recenser de manière précise l’évolution des populations d’oiseaux sur l’ensemble du territoire métropolitain dans différents habitats (villes, campagnes, forêts…). Les relevés effectués en milieu rural mettent en évidence un déclin depuis les années 1990. Les espèces spécifiques de ces milieux (fauvette grisette, alouette des champs, bruant ortolan…) ont vu leur population diminuer d’un tiers en quinze ans. Une autre étude menée par le CNRS dans les Deux Sèvres a consisté à suivre les populations d’oiseaux dans une plaine céréalière depuis 1995. Le constat est le même : en vingt-trois années, toutes les espèces d’oiseaux de plaine ont vu leur population fondre d’environ un tiers. L’étude précise que ce déclin frappe aussi bien les populations d’oiseaux spécifiques aux milieux agricoles (espèces dîtes « spécialistes ») que les populations présentes dans tous les types d’habitats, agricoles ou non (espèces dîtes « généralistes »).
L’uniformisation du paysage agricole, premier facteur de déclin des oiseaux dans les campagnes
Les mécanismes qui expliquent ce déclin des populations d’oiseaux dans les zones agricoles sont divers. Une méta-analyse, basée sur 94 études réalisées au cours des trente dernières années, montre que la richesse en espèces d’oiseaux est de 30% supérieure dans les exploitations en agriculture biologique par rapport à celles en agriculture conventionnelle. L’étude l’explique entre autres par la présence accrue dans les parcelles bio d’insectes dont se nourrissent les oiseaux. Cet effet positif de l’agriculture biologique par rapport à l’agriculture conventionnelle est surtout marqué dans les paysages possédant peu d’autres habitats pour les oiseaux que le champ cultivé. En d’autres termes, plus les paysages sont diversifiés avec des haies ou des arbres, moins l’effet des pratiques agricoles influe sur la diversité des populations d’oiseaux. L’importance de la présence d’habitats pour les oiseaux tels que les haies ou les arbres dans les paysages agricoles a été confirmée par une autre étude menée en 2003 au Burkina-Fasso ; ces habitats constituent autant de sites de nidification possibles. Par ailleurs, une autre étude de 2017 montre que les terres laissées nues sur de longues périodes ou souvent labourées défavorisent les populations d’oiseaux. D’autres études pointent quant à elles l’effet négatif des pesticides sur les populations d’oiseaux. Les mortalités directes dues aux pesticides, du fait de leur ingestion, ont été quantifiées en 2006 aux Etats Unis comme responsables de la mort de 0.02 oiseaux par hectare dans les régions les moins utilisatrices de produits phytosanitaires et jusqu’à 0.5 dans les régions où les pratiques agricoles sont les plus intensives. Cette mortalité, dite aïgue, tendrait tout de même à diminuer avec les années en raison d’une moindre toxicité des nouveaux produits utilisés par les agriculteurs. Au-delà de ces effets directs, les pesticides peuvent avoir un impact sur la disponibilité de nourriture pour les oiseaux. C’est le cas des herbicides qui, en diminuant la densité de mauvaises herbes dans les parcelles agricoles, suppriment potentiellement des graines dont les oiseaux peuvent se nourrir. En outre, la raréfaction des insectes, en partie causée par l’utilisation d’insecticides, affecte également un certain nombre d’oiseaux. De manière générale donc, moins les pratiques agricoles sont intensives en pesticides, plus elles sont favorables aux oiseaux.
L’agriculture n’est pas l’unique responsable
La replantation de haies, d’arbres, une moindre présence de terres nues et une utilisation diminuée de pesticides sont donc autant de solutions possibles pour palier le déclin des populations d’oiseaux dans les milieux agricoles. Ces pratiques couteuses pour les exploitations agricoles, sont régulièrement encouragées financièrement par des Mesures Agro-environnementales. Mais l’agriculture n’est pas l’unique responsable. Les observations du Muséum d’Histoire Naturelle montrent un déclin des populations d’oiseaux également en milieux urbains et forestiers, pour lesquels les activités agricoles sont difficilement accusables. Les changements climatiques sont ainsi responsables de modifications comportementales des oiseaux. Des reproductions plus précoces pour s’adapter aux cycles avancés des insectes sont par exemple observées chez des mésanges bleues de la côte méditerranéenne. Cependant les taux de réussite de nidification chutent, probablement en raison de la moindre abondance de nourriture à ces périodes pour les oisillons nés précocement. Sont également pointés du doigt, les changements de la faune planctonique dans les océans ou bien l’introduction d’espèces nouvelles, en particulier dans les îles. Une des causes de l’extinction avérée du dodo, outre la prédation humaine, est l’introduction d’animaux non présents initialement sur l’Ile Maurice, en particulier les chiens, rats, porcs et chats. Les chats sont d’ailleurs en France responsables de la mort de 110 millions d’oiseaux chaque année, et le phénomène semble mondial. La préservation des oiseaux est donc l’affaire de tous et de toutes. Lutte contre les ravageurs, pollinisation : une chose est sûre, en agriculture, les services écologiques et agronomiques que les oiseaux sont capables de rendre sont plus que conciliables avec l’agroécologie souhaitée par la société et les pouvoirs publics.