La question des sols entre progressivement au cœur des débats en agriculture. Peut-on définir ce qu’est un sol de qualité ?
Un sol de qualité se définit avant tout par sa capacité à rendre les services qu’il est habituellement en mesure de produire. Au niveau agricole, le principal de ces services est de nourrir les plantes et de leur permettre de pousser quantitativement et qualitativement. Mais il faut aussi que cette capacité soit durable, ce qui n’est pas évident. Beaucoup de pratiques agricoles qui fonctionnent à court terme posent des problèmes à moyen terme. C’est par exemple le cas du labour qui active la respiration et la minéralisation de la matière organique dans les sols, remonte les sels minéraux de profondeur et donc facilite la croissance des plantes, mais qui n’est pas viable sur le long terme car il augmente entre cinq et cent fois l’érosion des sols.
Comment se portent les sols agricoles de France ?
Les sols agricoles font face à deux problèmes : l’érosion physique et celle de la biodiversité microbienne qu’ils abritent. On constate que dans nombre de sols agricoles, en particulier les vignobles, les vergers et les monocultures de grandes cultures, la biomasse de champignons et de bactéries est amoindrie – de 30 à 40%. En revanche, la diversité d’espèces n’est pas forcément très altérée. En d’autres termes, on a beaucoup d’espèces mais certaines d’entre elles sont représentées par peu d’individus et cela veut dire qu’elles sont sans doute au bord de l’extinction. Cela est inquiétant parce que l’on sait aujourd’hui que c’est la santé biologique des sols qui aide la plante à se développer : les réservoirs de bactéries et de champignons de la rhizosphère (le sol qui entoure la racine) aident la plante à se nourrir et se défendre contre les maladies, en particulier les champignons mycorhiziens. Dans le sol, il y a des bactéries qui oxydent le fer, d’autres qui transforment l’azote atmosphérique en azote assimilable par les plantes ou sont capables de libérer le phosphate des roches. Derrière la diversité d’espèces microbiens se cache en fait une diversité de fonctions utiles à la nourriture et à la santé des plantes. Si on ne réagit pas, on peut donc condamner ces fonctions et à terme menacer notre capacité à nous nourrir.
Quelles places et fonctions occupent les mycorhizes dans les sols agricoles ?
Les mycorhizes représentent certainement les groupes de micro-organismes les mieux connus du sol. Ce sont des champignons qui colonisent les racines des plantes sans les détruire. La mycorhize est donc l’organisme formé par ces champignons qui colonisent la surface et l’intérieur des racines. C’est une sorte de tétine pour la plante parce que les champignons vont prélever des éléments minéraux dans le sol, les acheminer vers les racines et ainsi aider les végétaux à se nourrir. Mais les mycorhizes vont aussi permettre aux plantes de mieux se protéger. Les champignons mycorhiziens concernés s’installent en effet à proximité des racines parce qu’elles vont y prélever des sucres qui vont leur permettre de vivre. Ils sont donc sélectionnés pour leur propriété de défense des racines, ces dernières étant leur ressource. C’est une belle symbiose ! On sait aujourd’hui que la présence de mycorhizes peut empêcher l’entrée des pathogènes dans la racine des plantes. Des effets de stimulation des défenses des parties aériennes des plantes par les mycorhizes -les feuilles par exemple- ont même été mis en évidence, alors que ces dernières sont situées beaucoup plus bas dans la terre.
Quelles sont les pratiques agricoles qui menacent les mycorhizes ?
Il y en a au moins deux. La première c’est le labour. Les champignons mycorhiziens sont fait de filaments qui sont littéralement déchirés par la charrue. La deuxième, ce sont les apports d’engrais d’azote et de phosphate. Il faut bien comprendre que les plantes sont nourries par les champignons mycorhiziens en échange de sucres. Quand elles poussent dans un sol fortement fourni en engrais, elles finissent par pouvoir se nourrir directement et ne plus avoir intérêt à se nourrir avec l’aide de ces champignons et donc n’alimentent plus ces derniers en retour. En d’autres termes, les engrais que l’on apporte dans les sols réduisent la mycorhization. On perd donc l’effet phytosanitaire des mycorhizes et on entre alors dans une double dépendance, non seulement aux apports d’engrais, mais aussi aux traitements pesticides qui pallient la moins bonne résistance des plantes aux maladies. Par ailleurs, les pesticides, notamment les fongicides, vont avoir en retour un effet encore affaiblissant pour les champignons mycorhiziens. On entre donc alors dans la logique de l’agriculture conventionnelle qui certes produit en quantité ce dont nous avons besoin mais qui tourne le dos à la logique historique de production agricole basée sur la vie microbienne des sols et les fonctions mycorhiziennes. Ces dernières peuvent pourtant réduire notre dépendance aux engrais et pesticides, notamment les fongicides. Il y a pour cela un besoin urgent de recherche appliquée, car on ne peut plus fermer les yeux sur les impacts négatifs de l’agriculture conventionnelle.
On ne peut pas imaginer l’homme en bonne santé si les plantes, les animaux et les microbes qui sont autour ne se développent pas et n’opèrent pas leur fonction habituelle.
Quels liens est-on en mesure de faire entre la santé des sols et celle des humains ?
Il y a une logique de pensée, une vision de la nature et de l’environnement qui s’appelle « one health », c’est-à-dire « une seule santé ». L’idée alors défendue est que l’on ne peut pas avoir des plantes, ou des humains, en bonne santé dans un environnement qui globalement ne l’est pas. La logique de fonctionnement des microbes dans les sols, des plantes et des hommes est interdépendante. On peut le voir à travers le fait que les pesticides affectent à la fois la vie des sols et la santé des humains qui les appliquent ou qui consomment des produits dans lesquels il y a des résidus. Selon le dernier rapport du GIEC, la dégradation des terres affecterait déjà directement 3,2 milliards de personnes dans le monde tandis que, d’ici trente ans, 50 à 700 millions d’individus pourraient être contraints de migrer. On peut aussi s’en rendre compte à travers l’érosion qui peut ruiner, en plus des sols, des familles ou des régions entières. Aujourd’hui il y a une seule santé. On ne peut pas imaginer l’homme en bonne santé si les plantes, les animaux et les microbes qui sont autour ne se développent pas et n’opèrent pas leur fonction habituelle. Cela doit inspirer l’envie de restaurer des logiques au plus proche de celles de la nature. Non pas que la vie « naturelle » soit meilleure mais elle doit être considérée comme une source d’inspiration infinie pour des méthodes agricoles durables, c’est-à-dire dont les conséquences permettront à nos enfants de faire les mêmes choix que ceux que nous avons pu faire.
Comment fait-on pour y parvenir quand on est agriculteur, tant la tâche est complexe ?
Aujourd’hui les agriculteurs peuvent essayer de s’informer, de faire des essais de méthodes alternatives, écouter des scientifiques ou intégrer des programmes de recherche participatifs. Ils peuvent tout de même se sentir un peu seuls dans ce défi, parce que l’on n’a pas encore la masse de consommateurs qui exigent des produits issus de méthodes culturales alternatives. Ce n’est pas aux agriculteurs de décider seuls, c’est un choix sociétal général. Le consommateur est concerné, plus encore que l’agriculteur, et doit être mobilisé. Les nouveaux programmes de seconde, auxquels j’ai participé, insistent sur l’origine agricole des aliments et proposent même une visite d’exploitation, mais la suppression des SVT dans le tronc commun -en première et terminale- dans la récente réforme du lycée est un pas en arrière inquiétant. Car si cela se passe mal dans les agrosystèmes et dans les sols, c’est au fond parce que les choix des consommateurs le permettent ou l’encouragent. Il ne faut pas stigmatiser préférentiellement les agriculteurs, nous sommes tous responsables de la mauvaise santé des sols et des écosystèmes. Et donc de notre santé de demain.