Depuis quelques temps Kokopelli, fait parler d’elle… en mal. Dans les années 2000, la petite association qui défend la biodiversité agricole et la libre diffusion des semences biologiques s’était acquis le soutien du milieu écologiste, des jardiniers, et même d’une ministre, au cours d’un long bras de fer judiciaire (2005-2014) avec l’Etat et les graines Baumaux. Une réussite florissante puisqu’elle est devenue l’équivalent d’une petite entreprise, générant plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires.
Mais une réussite non exempte de critiques : conditions de travail déplorables, racontées dans l’ouvrage Nous n’irons plus pointer chez Gaïa ; accusation de complotisme, d’antisémitisme et d’islamophobie à l’encontre de son fondateur ; invitation du très controversé professeur Joyeux à son festival…
Mais un aspect de Kokopelli a été laissé de côté : la dimension climatosceptique de son discours.
Kokopelli, un climato-scepticisme très classique
La vitrine de Kokopelli est son site internet, qui est aussi son principal espace de vente de graines. Mais Kokopelli possède aussi un blog richement fourni, où alternent conseils de culture potagère, témoignages d’intervenants extérieurs et notes d’analyse de l’actualité semencière. Des notes d’analyses dans lesquelles s’exprime un climato-négationnisme (comme on dit outre-manche) assumé et répété. L’expression « imposture du réchauffement climatique anthropique » revient régulièrement, en 2013, en 2014, en 2015, en 2019…
Une négation du changement climatique qui s’appuie sur des arguments très classiques, comme la confusion entre météorologie (évènements à court terme) et la climatologie (moyennes du climat sur de longues périodes). Ainsi, chaque été froid et pluvieux est l’occasion de taper sur le changement climatique : « Nashville, au Tennessee, la ville d’un célèbre propagateur d’une hypothèse climatique, a battu en juillet le record de froid de 1877 » (septembre 2009); « un été pourri, le pire en soixante ans, une dizaine de jours où le soleil s’est pointé seulement, et des nuits de “canicule” en juillet aussi froides que certains jours d’hiver dans le nord de la France, autour de 4 à 8 degrés C°, et de la pluie tout le temps… Réchauffement climatique oblige ! » (mai 2017).
L’existence de changements climatiques dans l’histoire de la terre est utilisée comme argument pour nier l’origine humaine du changement actuel. En septembre 2009, Kokopelli recommande à tous ceux qui n’adhèrent « à aucune « pensée unique », fût-elle climatique », la lecture d’un livre racontant la pénétration des Vikings jusqu’au Kentucky, au cœur des Etats-Unis actuels, à la faveur de la période de réchauffement climatique commencée vers l’an 1000. En oubliant que cette colonisation viking n’est pas acceptée par la communauté des archéologues. De même, il insiste sur les périodes passées où le climat du Sahara était (un peu) plus humide qu’aujourd’hui.. « le Sahara fut vert et [s’i]l a déverdi subséquemment, ce n’est sûrement pas à cause du CO2 anthropique ». Mais il se garde bien de préciser que l’introduction de l’agriculture, donc d’une activité humaine, a peut-être contribué à mettre un terme à cette période.
Des résultats scientifiques sont déformés sans vergogne pour prouver l’absence de réchauffement. Ainsi, un article du journal britannique The Guardian portant sur les risques de refroidissement de l’Europe occidentale suite à la fonte des glaciers de l’Arctique devient l’objet de sarcasmes : le « réchauffement climatique anthropique”, qui est […] le fatidique responsable d’un refroidissement climatique global ». C’est pourtant un phénomène bien connu, qui s’est par déjà produit à la fin de la dernière glaciation. De même, des observations satellites montrant l’absence de réchauffement des couches profondes de l’océan, deviennent la preuve que « même la NASA […] se demande bien où a disparu le réchauffement climatique ».
La prudence s’émoussant avec les années, les textes les plus récents parlent du « refroidissement climatique global avéré – que j’avais annoncé dans mes articles de 2009 », « je » se référant ici à Dominique Guillet, fondateur (et ex-président) de Kokopelli, et auteur de la majorité des billets du blog. A partir du moment où cette évidence est assénée, tout devient possible. Tout thème populaire dans les médias, comme le mouvement #MeToo, devient alors un « écran de fumée » pour faire oublier que « la Presse aux Ordres a abandonné la propagande du climat ». Greenpeace et le Réseau Action Climat sont accusés d’être financés par la famille de banquiers Rockefeller. Le journaliste scientifique Stéphane Foucart se fait traiter d’« écolo-thermiste et canicul-béni »…
Biodiversité et changement climatique, des combats contradictoires ?
Une fois le constat posé, il existe deux manières d’interpréter ce climato-scepticisme. La première est de supposer que nous n’avons pas affaire au climato-scepticisme de Kokopelli mais à celui de son fondateur, Dominique Guillet, qui semble le principal rédacteur du blog et la seule figure médiatique de Kokopelli. Les billets de blog de Kokopelli renvoient d’ailleurs régulièrement à une rubrique de son blog personnel, intitulée Climats de Gaïa. Comme l’ont déjà fait remarquer les critiques citées en début d’article, Guillet développe fréquemment un discours complotiste. Dans ce premier cas, Guillet pose un vrai problème pour Kokopelli, puisque sa posture risque de ternir l’image de l’association et le travail de sauvegarde de la biodiversité effectué par ses salarié-e-s.
Mais une deuxième hypothèse est envisageable. Le cœur de l’argumentaire climato-sceptique de Dominique Guillet a été publié en 2009, au moment de la conférence de Copenhague sur le climat, qui avait été accompagnée d’une forte mobilisation des militants du climat. Nous pouvons imaginer que du point de vue de Kokopelli, s’engager dans la lutte contre le changement climatique soit une perte d’énergie par rapport à la mobilisation contre la sixième crise d’extinction de la biodiversité . En 2009, cette dernière thématique était d’ailleurs très peu médiatisée . Cette hypothèse pourrait être confirmée par un article climatosceptique de septembre 2009 , qui se finit par les mots : « Ne nous trompons pas de combat : l’ennemi, c’est la mafia de la semence, de l’agrochimie et de la pharmacie […] qui détruit l’intégralité de la biosphère depuis plus de 60 années. […] L’ennemi, c’est l’agriculture toxique […] qui accélère la désertification et l’érosion des sols ».
Si cette hypothèse est la bonne, alors le climato-scepticisme de Kokopelli pose une question : faut-il opposer mobilisation contre le changement climatique et mobilisation contre la crise de biodiversité ? Il semble pourtant difficile de séparer les deux crises. D’une part, le changement climatique aggrave le déclin de la biodiversité. D’autre part, un haut niveau de biodiversité est nécessaire pour que les écosystèmes (et l’agriculture) puissent s’adapter aux changements climatiques et absorber le plus de carbone possible. Enfin, comme le fait remarquer la philosophe Virginie Maris, aborder la question du changement climatique sans y adjoindre celle de la biodiversité, c’est prendre le risque de faire le choix de « solutions très techniques qui ne questionnent pas nos façons de vivre ». Pour Maris, répondre à la crise climatique peut se faire par la construction de grands barrages ou de champs d’éoliennes, qui ne nécessitent aucune remise en question de l’organisation de la société. Mais prendre en compte simultanément les enjeux du climat et de la biodiversité rendent si complexes les réponses techniques que cela oblige à poser des questions politiques et éthiques. En particulier, quel doit être le rapport de notre société à la nature ? Quelle valeur ont les autres espèces et les écosystèmes ? A qui appartiennent-ils ? Sont-ils « substituables » par des machines ou des objets fabriqués par les humains ? En résumé, considérer les deux crises simultanément obligerait à remettre en cause l’organisation économique et sociale qui a provoqué les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Comme le dirait Dominique Guillet lui-même, « il nous faut plus que jamais miser sur la biodiversité».