La fin du dernier épisode glaciaire modifie, en quelques milliers d’années, le climat de nos ancêtres, qui jusque là se nourrissent principalement de choux marins, noisettes, myrtilles et autres baies, ainsi que des produits de la chasse. Cette transition du chasseur-cueilleur vers une première forme d’agriculture apparaît il y a 12 000 à 3 500 ans suivant les lieux. La zone dite du « croissant fertile », qui comprend alors les territoires actuels d’Israël, du Liban, de la Jordanie, de la Turquie, de l’Irak et de l’Iran, adopte assez rapidement la culture de plusieurs céréales et légumineuses : blé, orge, pois, fèves, lentilles et pois chiches sont ainsi cultivés depuis au moins 8 000 à 10 000 ans. Dès lors, les premiers travaux de sélection débutent : les paysans choisissent volontairement les graines issues des plants les plus beaux, c’est-à-dire ceux qui sont le plus adaptés à leur terre, et peuvent ainsi accroître leurs rendements à mesure que la population des villages augmente. Ce mouvement est accompagné à la fin du néolithique par le perfectionnement des outils à l’âge du cuivre et du bronze.
Dès 2 000 av. J.-C, la route de la soie, qui reliait la partie Est de l’Eurasie avec l’Ouest, a sans doute été l’un des principaux moteurs de la diversification de notre alimentation. Dattes, pistaches, noix, poires, raisins voyagent depuis la Perse (ex-Iran) jusqu’au Moyen Orient. Amandes, concombres, coings et pêches sont amenés depuis l’Asie centrale, un grand nombre d’épices s’achemine depuis l’Inde, alors que la rhubarbe et le thé arrivent depuis la Chine. Sur la route de la soie, les traditions voyagent avec les produits : les recettes se transmettent, avec tout de même des variations. Le blé se décline en pâtes en Italie, alors qu’en Asie il donne les nouilles.
Conquêtes et vagues d’exploration
En 350 av. J.-C, Alexandre le Grand bâtit un empire sur 5,2 millions de km², soit un peu moins de dix fois le territoire de la France. Les plantes commencent alors à voyager. Au cours de ses périples, Alexandre envoie au philosophe et botaniste Théophraste de nouvelles espèces, et les coutumes qui leur sont associées. On apprend notamment que les grands sages s’asseyaient au pied des bananiers pour en consommer les fruits, ce qui donna tout naturellement à la banane le nom latin de Musa sapientum (la banane des sages).
L’Empire romain (d’environ 30 av. J.-C à 460) s’étend et ramène son lot de nouvelles denrées : artichaut, ail, oignon, laitue, amande, noix ainsi que la vigne font leur apparition dans les grandes villes, mais probablement seulement chez les plus aisés.
Au VIIème siècle, les Maures envahissent l’Espagne et amènent avec eux certains agrumes, l’épinard, ou encore l’aubergine qui provient d’Inde.
En 1473, la chute de l’empire byzantin conduit le Portugal à devoir trouver de nouveaux moyens de se procurer les épices, que les navires italiens et le commerce via l’Europe du Nord leur amenaient. Vasco de Gama embarque sur un navire en direction de l’Inde. Quelques années auparavant, Christophe Colomb effectue le même voyage et découvre finalement…l’Amérique. Les botanistes se mettent à collecter pommes de terre, tomates, piments, manioc, courges, cacahuètes, ananas, avocats, goyaves ou papayes. Des esclaves africains sont transportés vers l’Amérique pour la culture de la canne à sucre, et pendant 300 ans de labeur contribuent aussi à populariser le sucre par des traditions culinaires, même si cette contribution est largement ignorée dans nos sociétés.
A partir du XVIIIème siècle, une démographie croissante contraint le monde à augmenter sa production, et se concentrer sur les céréales. Aujourd’hui, maïs, riz et blé, trois des 50 000 plantes comestibles, représentent près de 60 % de notre apport en énergie… La production de légumineuses a néanmoins nettement augmenté depuis la seconde guerre mondiale, notamment le soja qui est utilisé comme complément nutritionnel des céréales dans la fabrication des aliments du bétail.
« Manger local, c’est l’idéal ! »
‘Et vous, vous mangez local ?’. Peut-être vous a-t-on déjà posé cette question. Il est évident que manger des aliments cultivés à proximité a ses avantages. Mais nous produisons de nos jours une foultitude de fruits et légumes qui, à la base, sont très étrangers de nos contrées. Originairement en Europe, la plupart des produits sont arrivés au Moyen Age par voies maritimes. A l’époque, les plus pauvres se contentent de légumes, noix et céréales. Les ragouts de choux, panais et pois avec du pain, et rarement de la viande ou du poisson constituent la base des repas, alors que les plus fortunés découvrent peu à peu les richesses que la planète a à offrir.
Voilà plusieurs siècles que nous avons réussi à adapter des cultures étrangères à nos territoires. La pomme est ainsi un élément culturel phare de l’ouest de la France… alors que la génétique nous apprend qu’elle vient du Kazakhstan ! Et la tomate, cet emblème de la culture culinaire italienne, trouverait en réalité ses origines au Pérou ! Remercions au passage les avancées de la génétique, qui permet de retracer l’origine de nos aliments.
Cette problématique d’une consommation locale dépend bien entendu des conditions plus ou moins propices d’un pays à cultiver cette diversité de fruits et légumes. La France a cet avantage de comporter des climats continentaux, océaniques, montagneux ou méditerranéens, permettant d’accueillir un grand nombre d’espèces, mais se heurte aussi à des concurrences fortes des autres pays, notamment de l’Espagne. Les régions d’Almeria et de Huelva arborent ainsi des surfaces colossales de serres souvent chauffées artificiellement dans lesquelles sont produits une grosse partie de l’année tomates, poivrons et autres aubergines, pour satisfaire des consommateurs qui se sont habitués à pouvoir consommer ces produits toute l’année… souvent au détriment de la qualité de l’aliment. Ces denrées produites à bas coût et par une main d’œuvre parfois sévèrement exploitée se retrouvent sur nos étals à des prix dérisoires et trop compétitifs pour les agriculteurs français. Mais les démarches et tendances actuelles des AMAP (Association de Maintien de l’Agriculture Paysanne) et autres magasins de producteurs sont la preuve que de plus en plus de consommateurs souhaitent avoir plus de traçabilité sur les produits qu’ils consomment. Après tout, « nous sommes ce que nous mangeons », disait Hippocrate.