Forts du recul de quelques décennies sur l’utilisation des pesticides, ce n’est que dans les années 1980 que les enquêtes épidémiologiques ont évoqué le rôle des pesticides dans un certain nombre de pathologies, aussi bien chez des personnes exposées professionnellement que dans le voisinage des parcelles où ces produits ont été appliqués.
Les pesticides se décomposent généralement en trois classes de produits : les insecticides (littéralement qui tuent les insectes), les fongicides (qui tuent les champignons) et les herbicides (qui tuent les mauvaises herbes). Il existe près de cent familles chimiques : organophosphorés, organochlorés, carbamates, pyréthrinoïdes… et près de dix mille formulations commerciales composées d’un mélange entre la matière active et un ou plusieurs adjuvants. La diversité des produits se retrouve aussi dans leur forme – liquide, poudre, granulé – ainsi que dans leur rémanence, c’est-à-dire la durée d’action du produit sur l’environnement.
La faute à qui ?
La réglementation concernant la mise sur le marché d’un produit est très stricte, mais les nombreuses études sont généralement menées par les industriels qui justement souhaitent commercialiser ces produits, ce qui permet de douter de la légitimité de leurs travaux. Comme le temps nécessaire pour comprendre les effets réels des pesticides sur la santé est très long, il est souvent complexe de déterminer si la cause de la pathologie est imputable à leur utilisation ou à une exposition prolongée, voire ponctuelle aux produits. Pour les sujets non directement exposés (souvent les non-agriculteurs donc), la difficulté réside dans le fait de ne pas pouvoir trouver de populations témoins pour les études épidémiologiques, les habitudes alimentaires de la population étant souvent les mêmes. Faute de temps, de moyens et de financements pour des études indépendantes, les multinationales qui produisent les pesticides – citons parmi les plus importantes Bayer CropScience, Dow ou Dupont – peuvent donc continuer leur commercialisation.
Une enquête de l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) en 2013 a néanmoins montré plusieurs relations avec certaines pathologies. Cette étude a été menée par un panel d’experts avec pour ambition de faire un bilan de la littérature sur les risques sanitaires liés aux pesticides. De cette enquête ressortent des constatations assez alarmantes :
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Une augmentation de certains cancers, notamment de la prostate et des cancers hématopoïétiques existe chez les agriculteurs, les ouvriers d’usines de production de pesticides et les populations rurales (entre 12 et 28% selon les populations)
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Un risque accru de développement de certains troubles neurodégénératifs, comme la maladie de Parkinson, et notamment lors d’exposition aux insecticides et herbicides.
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Des conséquences importantes sur la grossesse et le développement de l’enfant lors d’exposition prénatale aux pesticides : fausses-couches, malformations congénitales, motricité, acuité visuelle, diminution du poids de naissance, risque de leucémie, etc. Plusieurs études ont aussi montré une augmentation du risque de malformations congénitales chez les enfants des femmes vivant au voisinage d’une zone agricole.
Dans beaucoup de cas, les études manquent, faute de moyens, ce qui laisse présager des risques non encore identifiés. « Ne pas être en mesure de conclure ne veut pas dire obligatoirement qu’il n’y a pas de risques », précisent les experts et auteurs de l’enquête. Depuis plusieurs années, les mouvements associatifs luttant pour la reconnaissance de l’impact des pesticides sur la santé des hommes enregistrent des plaintes de plus en plus nombreuses. Des cas sont parfois conduits en justice, présageant de potentiels dommages et intérêts pour les victimes. « Il est indispensable de reconnaître le scandale sanitaire des pesticides en France, on ne peut plus être à la fois malade et être ignoré en tant que victime, c’est une double peine inacceptable », estime Marie-Lys Bibeyran, salariée agricole en domaine viticole et membre de l’association PhytoVictimes.
Combat féroce
Évidemment, les constats sont très différents chez les industriels qui produisent les pesticides. L’UIPP (Union des Industries de Protection des Plantes) avance systématiquement le peu de recul et d’informations que l’on a à disposition pour juger de la toxicité de leurs produits. Les lobbies puissants menés par ce groupe permettent généralement de condamner des travaux qu’ils jugent insuffisants aux yeux de la communauté scientifique. C’est ainsi que la réaction du classement du glyphosate (produit actif de l’herbicide Roundup notamment) en tant que « potentiel cancérigène » en mars 2015 s’est suivie d’une réponse forte de la société Monsanto, appuyée par un soutien des autres industriels conscients de l’importance de cette décision dans l’avenir du produit. « Le Roundup n’est pas cancérigène. Mais comme tout produit de protection des cultures, il n’est pas anodin », affirme alors Didier Charrier, directeur général de Monsanto France. En réponse à ce classement, les associations de consommateurs ont rapidement réclamé que ce produit phare des jardiniers amateurs mais aussi premier herbicide utilisé dans le monde, soit retiré des ventes. « Nous demandons l’application du principe de précaution, du moins pour des usages non agricoles », déclare Marine Desorge, de l’Association nationale de défense des consommateurs et usagers. Et Ségolène Royal, ministre de l’écologie, de demander l’interdiction de la vente du Roundup dans les jardineries au 1er janvier 2016.
La campagne… où il fait bon vivre ?
Qu’en est-il pour les personnes exposées indirectement aux pesticides ? Une enquête dite APACHE (Analyse de Pesticides Agricoles dans les Cheveux) réalisée par l’association « Générations Futures » a montré que l’exposition des riverains aux traitements de la vigne dans le Médoc était nettement supérieure aux populations qui n’y étaient pas exposées. On recense ainsi des riverains qui sont contraints de rentrer chez eux aux heures de traitement pour éviter la surexposition. Parmi les molécules retrouvées, beaucoup sont classées potentiellement cancérigènes et certaines seraient des perturbateurs endocriniens. Le risque est particulièrement important lors d’épandages aériens de pesticides, maintenant interdits en France mais autorisés dans des pays comme l’Argentine. Dans ces pays où les conditions d’application sont nettement moins réglementées et où le principal objectif est de produire le plus possible pour subvenir aux besoins des familles de paysans, les applications sont nombreuses, non contrôlées, et conduisent naturellement à des pathologies sérieuses chez les personnes en contact direct ou indirect.
Les industriels et les associations ne sont pas les seuls à étudier de près ces interactions. Un peu partout dans le monde, des éleveurs, des céréaliers, des maraîchers, des viticulteurs se mobilisent pour dénoncer les effets de produits qu’on leur a conseillé et présenté comme étant sans nocivité particulière. Beaucoup d’enquêtes indépendantes menées ces dernières années semblent aller vers le même constat : la dénonciation des effets des pesticides sur la santé humaine et animale, même si la France demeure un gros consommateur de produits phytosanitaires. Mais au vu du nombre de produits sur le marché et des interactions possibles résultant du mélange de plusieurs pesticides appliqués simultanément, les enquêtes indépendantes sont encore trop peu nombreuses et arrivent souvent bien tard.