Avec moins de 4% des surfaces agricoles françaises, la vigne reçoit, en masse, 20% du total des produits phytosanitaires épandus en France. Comment expliquer cette consommation ?
Soizic Guimier : La vigne est une plante pérenne qui reste en terre pendant des dizaines d’années. Par rapport à des cultures dites annuelles comme par exemple les céréales, on a donc moins de leviers agronomiques tels que la rotation des cultures qui permet, en évitant la monoculture, de limiter l’installation des maladies et des ravageurs. Les principales maladies contre lesquelles les vignerons doivent lutter sont essentiellement des champignons, en premier lieu l’oïdium et le mildiou, venus d’Amérique du Nord. Les fongicides, utilisés contre les champignons, représentent 80% des traitements en vigne. Le principal facteur explicatif de cette consommation est que les vignes européennes ne sont résistantes ni au mildiou, ni à l’oïdium.
Quels sont les leviers agronomiques permettant de diminuer l’usage des pesticides ?
SG : Compte tenu de la forte sensibilité des vignes européennes au mildiou et à l’oïdium, il est peu réaliste de se passer de traitements, y compris en bio. L’enjeu consiste donc principalement à les diminuer. Le levier le plus utilisé consiste à améliorer l’efficacité de ces traitements : on parle alors d’efficience de la lutte chimique. Le premier moyen d’y parvenir est de traiter au bon moment, à la bonne dose, uniquement en cas de besoin, et pas nécessairement « au cas où » alors que la pression en maladie est faible ou inexistante. Pour cela, de nombreux outils d’aide à la décision ont été développés, notamment par l’INRA ou l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV). Ils permettent, via des prévisions météorologiques, des modèles de développement des maladies et des observations dans les champs, d’estimer s’il est nécessaire de traiter pour ne pas affecter le rendement ou la qualité de la future vendage. Le deuxième moyen est de diminuer les doses de produits utilisés grâce à des pulvérisations de qualité. Certains pulvérisateurs permettent d’éviter la dérive des produits, c’est-à-dire de faire en sorte qu’un maximum de matière active épandue aille sur sa cible : le feuillage de la vigne sur lequel les maladies se développent et non le sol ou l’air. Ces deux moyens combinés, les outils d’aide à la décision et les pulvérisations de qualité, peuvent permettre de diminuer les traitements de l’ordre de 50%.
Enfin, les vignerons peuvent également mettre en place des pratiques permettant d’éviter le développement des maladies (prophylaxie), comme par exemple diminuer la densité de feuillage pouvant favoriser l’humidité et donc la prolifération des champignons. On sait aussi qu’un excès de vigueur de la vigne favorise le développement des maladies. Cependant les mesures de prophylaxie nécessitent du temps, donc de la main d’œuvre, et ne sont pas mises en place dans tous les vignobles. Par ailleurs, pour remplacer les herbicides, il existe des outils mécaniques qui arrachent les mauvaises herbes. Il est également répandu de couvrir les rangs entre les vignes par des couverts végétaux qui limitent ainsi l’érosion et la prolifération de mauvaises herbes non désirées.
Quel est l’objectif des recherches que vous menez au sein de l’INRA de Bordeaux sur la création de cépages résistantes aux maladies ?
SG : Contrairement aux vignes européennes, certaines vignes américaines ou asiatiques possèdent des gènes de résistance au mildiou et à l’oïdium, des maladies qui ne sont apparues en Europe qu’au XIXème siècle. L’INRA travaille donc depuis plusieurs années sur des variétés issues de croisements entre les vignes européennes et américaines pour conférer à nos cépages ces gènes de résistance. Ces croisements sont obtenus de façon totalement naturelle et nous en évaluons ensuite le comportement dans des parcelles réelles. Par ailleurs, la gestion durable des résistances déployées est aussi à l’étude: il s’agira de garder l’efficacité de ces nouvelles variétés le plus longtemps possible. L’INRA et l’IFV ont donc mis en place un observatoire national du déploiement des cépages résistants en 2017, dispositif de surveillance participatif.
les cépages résistants ont permis de diminuer le niveau des traitements de 90%
Quelle économie en produits phytosanitaires ces nouvelles vignes permettent-elles ?
SG : Nous menons des essais où est comparée la culture de vignes européennes non résistantes génétiquement au mildiou et à l’oïdium, avec celle de vignes ayant des gènes de résistance. Sur cinq années d’expérimentations que nous avons menées à Bordeaux, les cépages résistants ont permis de diminuer le niveau des traitements de 90% par rapport à des conduites économes en pesticides sur des vignes européennes classiques. Et lorsque nous traitons les vignes résistantes au mildiou et à l’oïdium, c’est contre d’autres maladies qui ne sont pas ciblées par la résistance.
Quels sont les freins au développement de ces cépages résistants ?
SG : Même si les résultats sont très encourageants sur les économies de traitement réalisés, se pose la question de l’appropriation et de l’usage de ces nouvelles variétés par les vignerons. Un des freins à leur déploiement est que nous n’avons encore que peu de recul par rapport à la qualité des vins de ces cépages résistants. Le fait que ces variétés ne soient pas les mêmes que celles traditionnellement utilisées dans nos vignobles pose encore problème dans un secteur où les appellations d’origine contrôlées régissent les liens aux terroirs. Le défi est donc d’obtenir des vignes résistantes adaptées aux terroirs locaux et garantissant la qualité gustative actuelle des différents vins. Des programmes de recherche visent donc à effectuer des croisements entre des cépages résistants et locaux. Enfin, la règlementation évolue et des ouvertures devraient être possibles pour intégrer dans les appellations d’origine contrôlées 5% de nouveaux cépages résistants aux maladies ou plus adaptés au changement climatique. Nous devrions ainsi réussir le défi d’une viticulture plus économe en pesticides et toujours aussi qualitative.