Aides à l’agriculture : et si on rémunérait en fonction de la qualité des sols ?

Temps de lecture : 4 minutes
Alors qu’une nouvelle réforme de la Politique Agricole Commune approche à grands pas, la rémunération des agriculteurs selon leurs résultats plutôt que leurs pratiques commence à voir le jour dans les débats... Et pourrait être un moyen d’accélérer la transition écologique de l’agriculture.
Les mottes de terres, de bons indicateurs de la qualité des sols (http://www.bioactualites.ch)

A chaque réforme de la PAC (Politique Agricole Commune), dont la prochaine est prévue en 2021, les mêmes débats resurgissent. Ceux d’aides conditionnées aux changements de pratiques nécessaires pour une agriculture plus écologique. L’essentiel des subventions agricoles de la PAC est versé aux agriculteurs sous forme d’aides directes à l’hectare dans ce que l’on appelle « le premier pilier ». Ces aides sont, depuis 2014, en partie conditionnées à des bonnes pratiques environnementales. C’est ce que l’on appelle le « verdissement » de la PAC. Concrètement, cela conditionne une partie des aides à un minimum de diversité de cultures sur l’exploitation et à la mise en place de Surfaces d’Intérêts écologiques.  Ces dernières, qui peuvent se matérialiser par la mise en place de couverts végétaux, de haies ou encore d’arbres doivent atteindre 5% des surfaces d’une exploitation agricole. Par ailleurs, la PAC prévoit également des aides pour les agriculteurs engagés en conversion vers l’agriculture biologique ou encore dans le cadre de mesures dîtes « agro-environnementales » dans le cadre de son « second pilier ». Ces mesures  permettent d’aider des démarches volontaires d’agriculteurs s’engageant sur des pratiques vertueuses pendant 5 ans : diminuer ou ne plus utiliser de pesticides sur certaines cultures, mettre en place des pratiques à l’échelle de l’exploitation agricole permettant de protéger la qualité de l’eau ou de préserver un oiseau particulier par exemple.

 

Une obligation de moyens plutôt que de résultats

Ces mesures permettent donc d’orienter les pratiques agricoles –de manière trop faible selon certains- vers des objectifs définis et attendus par la société : ceux d’une agriculture à plus faible impact environnemental ou contribuant à atténuer les effets du changement climatique. Dans chacun des cas, ces mesures encouragent l’évolution des pratiques par des obligations de moyens plutôt que de résultats. En d’autres termes, on incite les agriculteurs à adopter un ensemble de pratiques pour atteindre un objectif de résultats, plutôt que de leur soumettre des objectifs à atteindre pour lesquels divers degrés de libertés leur seraient laissés pour y parvenir.  Si le fonctionnement actuel de ces aides a le mérite de la simplicité d’application, leurs effets ne sont pas nécessairement facilement mesurables, ou parfois peu visibles comme en témoigne les récentes publications sur la qualité des eaux souterraines en plaine d’Alsace. Certains plaident désormais pour un changement de paradigme : rémunérer les agriculteurs en fonction de leurs résultats plutôt que de leurs intentions.

Le ver de terre, un indicateur de la biodiversité des terres agricoles (Pixabay)

En Suisse, on rémunère les agriculteurs selon la qualité de leurs sols

L’initiative lancée en Suisse dans le cadre de l’opération Biodivsol risque, dans ce contexte, d’être riche d’enseignements. Financée par l’Office Fédéral de l’Agriculture, la démarche vise à récompenser financièrement les agriculteurs réussissant à améliorer la qualité de leurs sols. Pour les promoteurs de la mesure, il s’agit de rompre avec une approche « trop administrée » des aides financières agricoles, qui dicterait aux agriculteurs les pratiques à adopter. Concrètement, le niveau de la subvention versée aux exploitants agricoles volontaires dans le dispositif se fera en fonction de l’état structural des sols des parcelles. Pour cela, un diagnostic de terrain visera à déterminer les taux de matières organiques et la bonne porosité du sol, signe de son bon fonctionnement, de sa capacité à retenir l’eau et à séquestrer du carbone en abondance, service utile dans un contexte de réchauffement climatique. Bio, agriculture sans labour ou avec labour… les moyens d’y parvenir seront en revanche laissés libres aux agriculteurs, dans le cadre des lois agricoles en vigueur évidemment. Et pour reconquérir une bonne qualité des sols, les solutions sont souvent multiples : couverts végétaux, diminution du labour, rotations agronomiques, fertilisation organique plutôt que minéral… Le système pourrait avoir le mérite d’inciter à une réflexion globale sur les évolutions techniques des exploitations et à des changements plus larges qu’une seule pratique afin d’atteindre les objectifs fixés.

 

Rendre les aides agricoles plus lisibles et concrètes

Si cette approche est assez novatrice et donc encore incertaine, elle apporte néanmoins deux intérêts majeurs. Le premier est celui de valoriser le producteur comme artisan de l’atteinte d’objectifs environnementaux. L’agriculteur pourra, par la technique de son choix, correspondant le mieux à son savoir, son terroir ou ses centres d’intérêts, tenter d’atteindre des objectifs chiffrés et clairs. On peut aussi penser ce fonctionnement comme un encouragement généralisé  à l’innovation : atteindre un certain nombre d’objectifs définis pourrait encourager les agriculteurs et les organismes de recherche à rechercher les meilleures manières de faire. Avec ce système, les agriculteurs en non-labour, en bio ou pratiquant l’agroforesterie seraient ainsi plus facilement rémunérés pour les services écologiques qu’ils rendent, alors que les aides à ces pratiques, ayant pourtant démontré leur intérêt, ne sont pas généralisées en France. Payer les agriculteurs en fonction de leurs résultats aurait l’avantage d’encourager une grande diversité de pratiques dont il est difficile de prévoir une rémunération pour chacune.

Le deuxième avantage, et non des moindres, est sans doute celui d’un système d’aides aux agriculteurs plus lisible pour les citoyens qui pourront ainsi se rendre compte des résultats d’une utilisation plus concrète des subventions. Reste que la réussite de la démarche, si elle est souhaitable, n’est pas encore garantie. Quid des agriculteurs qui, malgré la mise en œuvre de pratiques vertueuses, n’atteindraient pas les objectifs ? Trouver des indicateurs d’évaluation pertinents pour rémunérer les agriculteurs reste un chantier compliqué tant la diversité des systèmes, des sols et des climats peut conditionner énormément les résultats. Une partie de la solution réside peut-être dans la combinaison entre des aides perçues via des obligations de moyens et de résultats. Cela permettrait à la fois d’encadrer ce qu’il est permis ou non de faire et de favoriser des manières de produire (obligation de moyens) et d’atteindre des objectifs concrets et fixés par l’ensemble de la société (obligation de résultats). Ce système, en apportant des garanties  solides sur la bonne évolution des pratiques agricoles, pourrait représenter un des futurs visages de la PAC dont la prochaine révision doit démarrer d’ici 2020. L’expérience suisse pourrait donc donner du grain à moudre aux futurs négociateurs.