Quel modèle économique pour l’agriculture biologique ?

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Avec une multiplication par 7 de ses surfaces depuis 20 ans, l’agriculture biologique est un secteur qui ne connaît pas (trop) la crise. Elle est néanmoins, du fait de son expansion, confrontée à de véritables défis sur la nature de son développement. Beaucoup de professionnels se demandent aujourd’hui comment accroitre les surfaces pour répondre à la demande tout en préservant  l’éthique qui a fait le succès et les fondements de la bio.
Photo de deux mains présentant de deux brins de maïs avec un fond coloré par les légumes orange

Fin 2015, plus d’un million d’hectares étaient cultivés en France en Agriculture Biologique (AB) selon l’Agence Bio, soit une multiplication par 7 depuis 1995. Chaque année depuis dix ans, ce sont en moyenne 50 000 hectares de plus qui passent en bio, ce qui représente plus de 1 300 producteurs. En commençant son développement dans les années 1970 avec des labels indépendants (Nature et Progrès), l’agriculture biologique s’est d’abord développée comme contre-modèle agronomique et économique à l’agriculture conventionnelle. L’utilisation de techniques culturales alternatives aux pesticides en était alors le fer de lance. Par ailleurs, en écoulant leurs productions vers des consommateurs avertis hors des circuits traditionnels que pouvaient être les grandes surfaces, les premiers agriculteurs biologiques ont opté pour les circuits courts. Ces derniers correspondaient ainsi à la réalité typologique de l’organisation des premières fermes biologiques : des productions diversifiées sur de petites surfaces. Le mode de commercialisation était alors non seulement cohérent d’un point de vue éthique par le rapprochement opéré avec le consommateur, mais également agronomique par la possibilité de valoriser une diversité de productions, base de l’agriculture biologique et moyen indispensable pour le maintien des cultures et de la terre en bonne santé.

Un contre-modèle en risque de « conventionnalisation »

Si l’agriculture biologique reste aujourd’hui encore fortement commercialisée par le biais de circuits courts de proximité, sa reconnaissance institutionnelle et économique au début des années 1990 lui a ouvert de nouveaux marchés et consommateurs. Son développement a alors débuté sur les marchés de masse avec les premières gammes bio dans les rayons des grandes surfaces. « La bio », jusqu’alors réservée à une poignée de militants convaincus – principalement des classes économiques supérieures – s’est par cette occasion ouverte à de nouveaux consommateurs plus occasionnels, plus modestes et peut être moins avertis. Ce phénomène de « démocratisation », en s’accentuant aujourd’hui, permet en grande partie l’augmentation continue de la demande en produits bio et donc le développement des surfaces. De nos jours, selon l’Agence Bio, si les réseaux spécialisés (27% des achats) et la vente directe restent incontournables en bio, 47% des produits biologiques (en valeur de vente) sont achetés dans les grandes surfaces. Cette évolution peut entrainer un risque de « conventionnalisation » de l’agriculture biologique selon les termes employés par Ronan le Velly, maître de conférence en sociologie à Montpellier Supagro.  En effet, alimenter les grandes surfaces ou l’industrie pour un agriculteur n’a pas les mêmes conséquences que vendre sa marchandise sur un marché local. A l’inverse des circuits courts (un intermédiaire maximum entre le producteur et le consommateur), les circuits longs ou dits de gros, nécessitent d’importants volumes de production et donc limitent le niveau de diversification des producteurs, pour que la gestion de l’exploitation reste abordable. Or, maintenir un niveau minimal de diversité de productions sur l’exploitation est agronomiquement une des conditions de réussite de ce mode de production.

Des solutions concrètes déjà mises en œuvre

Dès lors se pose la question du modèle de développement de l’agriculture biologique. L’accroissement de la demande fait aujourd’hui penser que le bio n’est pas une mode mais un mouvement de fond de la consommation alimentaire.

L’inquiétude d’une partie des professionnels de l’AB réside donc aujourd’hui dans la réussite d’un développement coordonné des volumes produits et de la demande sans déstabiliser ni les marchés, ni les valeurs portées par ce mode de production, au risque de se couper d’une partie de ses consommateurs.

Sur le terrain, de nombreux producteurs se sont déjà organisés afin de développer des solutions permettant d’amorcer des réponses à ce défi de développement auquel est confrontée l’agriculture biologique. Ainsi, des maraichers et arboriculteurs du Sud-Est de la France se sont regroupés au sein de Solébio, une structure de commercialisation collective permettant d’accéder à des marchés importants, qu’ils peuvent difficilement atteindre séparément. Ils ont pour cela mis en place un système de répartition des cultures implantées dans chaque exploitation, leur permettant de limiter la concurrence entre eux et de peser plus fortement dans les négociations commerciales.

D’autres formes de développement de l’agriculture biologique se mettent en place, via des labélisations éthiques, comme le label Biocohérence. Les fondateurs de ce label ont ainsi développé un cahier des charges plus exigeant que celui actuel de l’agriculture biologique (défini au niveau européen) et répondent ainsi à une demande qualitative ne prenant pas comme unique interface le marché.

L’agriculture biologique est donc à un moment important de son histoire et peut par la mobilisation de ses acteurs ouvrir la voie à de nouvelles formes innovantes de coopération entre producteurs. La FNAB (Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique) a d’ailleurs revendiqué le prix Nobel de l’économie pour l’agriculture biologique !