Avant d’être devenu un aliment phare, le quinoa a longtemps été parfaitement inconnu pour les consommateurs occidentaux. Sa domestication remonte à environ 7 000 ans par les paysans andins sur les hauts plateaux en bordure du lac Titicaca, constituant alors l’essentiel de leur alimentation. Il faudra attendre l’arrivée des conquistadors espagnols au XVIème siècle pour voir fortement régresser la consommation de quinoa par ces populations qui ont vu une grande partie de leur régime alimentaire alors imposée par les colons. Ces derniers n’ont d’ailleurs pas perçu l’intérêt du quinoa : pas de traces dans leurs valises pour leur retour en Europe, contrairement au haricot, au maïs ou à la pomme de terre . L’absence de gluten dans la farine de quinoa la rendant ainsi difficilement panifiable et la présence de saponine dans les enveloppes externes du grain rendant obligatoire son décorticage sont autant d’éléments qui ont été des obstacles à sa consommation rapide et son exportation sur le vieux continent à l’époque. Le fort potentiel nutritif du quinoa, savoir ancestral des populations locales, est alors passé aux oubliettes.
Ce n’est que dans les années soixante-dix que le quinoa fait timidement son retour, repéré par des adeptes de régimes végétariens en Amérique du Nord. Sur le plan nutritionnel, le quinoa a la particularité de contenir tous les acides aminés essentiels, en particulier de la Lysine souvent absente dans de nombreuses plantes. La NASA s’est même intéressée à cette culture, soucieuse de pouvoir proposer l’alimentation la plus équilibrée à ses astronautes. D’études en études, la réputation nutritionnelle du quinoa s’est patiemment consolidée, au point de devenir aujourd’hui un produit phare de l’alimentation mondiale.
De la culture de subsistance à celle d’exportation
Pour répondre à cette demande, ce sont plus de 100 000 tonnes de quinoa qui sont produites chaque année, à 92% au Pérou et en Bolivie. Entre 1961 et 2014, la surface de production a ainsi augmenté dans ce pays de plus de 450% d’après la FAO. Ce fulgurant succès du quinoa n’est pas sans conséquences sur l’organisation de sa production dans ses pays d’origine. Alors que cette culture était traditionnellement mise en terre jusque dans les années soixante-dix sur de petites surfaces d’un hectare sur l’Altiplano (« Hautes Plaines ») et cultivée à la main, elle est aujourd’hui conduite de manière mécanisée sur de bien plus grandes surfaces. Des plateaux, la culture du quinoa s’est donc étendue à leurs contreforts puis aux plaines, provoquant ainsi le retour à la terre de nombreux travailleurs attirés par des prix de vente attractifs. Dans un pays où les droits de la terre sont souvent ancestraux, les conflits de propriété se sont alors multipliés, tout comme les conflits d’usage des terres avec des éleveurs de lamas ou d’alpagas. La place historique de l’élevage dans les communautés rurales se voit ainsi bouleversée. Une étude française de 2010 conduite par le CNRS et AgroParis Tech montre ainsi les conséquences de l’augmentation des surfaces de quinoa entraînant « une crise foncière, et des tensions sociales multiples » en passant d’une culture de subsistance à une culture d’exportation.
Pour répondre à la demande, l’expansion des surfaces s’est traduite par une tendance accrue de la monoculture de quinoa avec une diminution des rotations ou des jachères, essentielles au maintien de la fertilité des sols. En quelques années, d’importants problèmes d’érosion des sols se sont généralisés du fait de la mécanisation et du labour systématique des terres de plaine. Néanmoins, « si l’adoption du nouveau système de production a été rapide, c’est bien que les producteurs y ont vu un intérêt, précisent le CNRS et AgroParis Tech dans leur note de septembre 2010. Le premier intérêt est celui de pouvoir produire plus avec moins d’efforts, ensuite d’entrer dans le marché et de pouvoir disposer ainsi de liquidités, et enfin d’agrandir leur patrimoine foncier. »
Vers des voies durables de développement de la production
Dans un ouvrage datant de 2015 intitulé Le quinoa, les enjeux d’une conquête, Didier Bazile, chercheur au Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement (CIRAD) questionne le développement durable de cette culture tant dans les pays historiquement producteurs que dans de potentiels nouveaux environnements. Des expérimentations sont en effet menées aux quatre coins de la planète pour la culture de quinoa. Elles peuvent représenter une solution pour minimiser les problématiques sociales et environnementales qui frappent les pays andins. Mais ces expérimentations sont possibles en particulier par la grande diversité génétique existante du quinoa. En sélectionnant et en cultivant des variétés adaptées à des conditions parfois très locales, les producteurs traditionnels de quinoa ont ainsi permis, au fil des siècles, le développement d’une importance richesse génétique pour cette plante. Ceci constitue indéniablement un atout pour l’expérimentation de la culture dans d’autres pays, et donc dans des situations de sols ou de climats très variées. Dans son ouvrage, Didier Bazile invite à protéger ce travail mené par les paysans afin qu’il ne tombe pas unilatéralement entre les mains des semenciers, ce qui pourrait ainsi limiter la libre circulation des semences. Le risque d’une perte partielle de cette biodiversité ou de contrôle des paysans sur leurs propres semences dans des schémas de standardisation des filières est grand.
Une fois ce préalable établi, le chercheur du CIRAD expose que « le quinoa s’adapte à une très large gamme de milieux (…) permettant aujourd’hui d’envisager sa culture sous de nombreux climats après des phases d’adaptation et de sélection à partir de variétés issues des pays andins ». Ensuite, l’auteur nous invite à nous questionner sur les conditions d’un développement de la culture dans d’autres pays et sur leur impact sur les marchés mondiaux. S’il y a très certainement une large place pour le développement de la culture dans divers endroits du monde, comme par exemple dans les Pays de Loire, celui-ci ne sera que plus durable s’il est agroécologique. Cette manière de voir le développement du quinoa permettra, en plus de répondre à la demande du consommateur, à la sécurisation de la diversité des ressources génétiques évoquées précédemment. Enfin, encourager les coopératives de producteurs andins dans des relations de commerce équitable est également un atout pour la culture raisonnée de surfaces de quinoa dans ces pays. En somme, « le développement de la culture de quinoa semble, dans ses multiples dimensions, servir de modèle pour analyser une transition écologique où la biodiversité agricole prendra beaucoup d’importance», conclut Didier Bazile.
Le quinoa reflète donc bien les problématiques de mondialisation et environnementales que traverse actuellement l’agriculture.