Chaque jour nous mangeons. Une phrase on ne peut plus plate et plus banale pour commencer un édito me direz-vous. Avant que vous passiez sur un autre article (ou pire sur un autre site !), prenez le temps de vous arrêter sur cette phrase : « chaque jour nous mangeons ». D’abord oui, tous les jours, la plus grande partie d’entre nous a la chance de trouver deux à trois fois par jour une assiette pleine. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde, malheureusement. La malnutrition menace encore un individu sur douze dans le monde et tue plus de trente millions de personnes chaque année. Les conséquences sont dramatiques et les causes en sont multiples : aléas climatiques, maladies, protection de la santé de l’enfant mais également pauvreté, exclusion sociale, conflits géopolitiques ou mauvaises répartitions des richesses et denrées alimentaires. Nourrir correctement la planète ne semble donc finalement pas une chose aisée. Alors que la mécanisation et l’intensification de l’agriculture depuis l’après-guerre a permis une explosion des rendements sans précédent, la malnutrition subsiste. Ce qui fait dire à Sylvie Brunel[1], géographe et économiste que « le problème de la faim est plus un problème de pauvreté et de répartition que de déficit de la production elle-même ». Ou quand manger devient un acte politique, en témoigne les émeutes de la faim des années 2007-2008 suite à la flambée des denrées alimentaires de base et à la spéculation sur les terres agricoles.
Quand nos actes de consommateurs font bouger les lignes
Dès lors, nourrir plus de 9 milliards d’êtres humains en 2050 sera éminemment politique. L’accès aux terres agricoles, à des technologies permettant l’autosuffisance alimentaire de régions entières, à une nourriture équitablement produite et répartie sur la planète dépendra avant tout des constructions économiques, et donc politiques, de la planète. Le tout devant être fait de manière écologiquement supportable pour être durable. Les enseignements de la révolution verte nous ont montré les difficultés de produire beaucoup en respectant notre environnement. Aujourd’hui des solutions existent et ne demandent qu’à être soutenues et développées, les filières labellisées en sont l’exemple parfait. Le succès considérable de l’agriculture biologique montre l’immense pouvoir des consommateurs pour faire bouger les lignes et les modèles agricoles. La fin des œufs en cage dans les rayons des supermarchés est aussi un exemple criant de notre capacité à tous de générer des changements dans les filières économiques. En somme, ce que nous mettons dans notre bouche est un acte profondément politique car il impacte notre santé, notre économie, nos territoires et même nos élus dont les propositions en matières d’agriculture ne manquent pas. Si ces derniers écrivent au final les lois, nos actes de consommacteurs permettent de les inspirer. Le consommateur peut faire bouger bien des lignes. Vous ne pourrez plus donc dire que la phrase « chaque jour nous mangeons » est plate.
[1] Sylvie Brunel, nourrir le monde, vaincre la faim, Paris, Larousse, 2009