L’usage des pesticides en agriculture fait régulièrement débat. Entre l’image d’une agriculture intensive, fortement consommatrice de pesticides et l’agriculture biologique, qui en utilise pas ou très peu, y a-t-il une voie intermédiaire ? Pour le savoir, l’Institut National de la Recherche Agronomique (Inra) a analysé le fonctionnement de 946 exploitations dans toutes les filières et dans toute la France. Ces exploitations ne sont pas n’importe lesquelles : elles sont toutes des fermes dîtes « pilotes » au sein du réseau DEPHY-Ferme. Ce réseau, soutenu financièrement par le Ministère de l’Agriculture, regroupe des fermes engagées dans la mise en œuvre de pratiques innovantes visant à réduire, voire supprimer, l’utilisation des pesticides. Les agriculteurs et agricultrices volontaires engagés dans cette démarche, sont alors mis en réseau, conseillés et suivis techniquement par des organismes de développement agricole, comme les Chambres d’Agriculture.
La réduction de l’usage des pesticides est possible sans diminution de rendements …
L’étude ainsi menée permet donc d’évaluer l’impact sur les rendements ou le niveau de rentabilité des exploitations d’une réduction des pesticides dans des contextes de production très différents, représentatifs de la diversité des sols et des climats de France. Le premier résultat de l’étude montre qu’une diminution de l’utilisation des pesticides est possible sans diminuer les rendements agricoles dans 94% des cas étudiés. Mieux encore, l’étude note que « dans 78% des situations, une diminution de l’usage des pesticides entraînerait une rentabilité équivalente ou meilleure ». Autrement dit, dans une écrasante majorité de situations, réduire l’usage des pesticides peut se faire en produisant autant et à revenus agricoles stables voire meilleurs. Dans le détail, l’auteur de l’étude, Nicolas Munier-Jolain, quantifie à hauteur de 42% le niveau de baisse d’usage des pesticides dans les fermes étudiées sans perte de rentabilité économique pour les agriculteurs. En extrapolant ces résultats à l’échelle de la ferme France, le chercheur estime plutôt à 30% le niveau de baisse possible de l’utilisation des pesticides, compte tenu des exploitations qui ne pourraient changer leurs pratiques sans perte de rentabilité. Dans le détail, les fermes qui changeraient leurs pratiques pourraient le faire sans prendre de risques économiques majeurs à hauteur de 37% pour les herbicides, 47% pour les fongicides et 60% pour les herbicides.
… A condition de changements importants
Ces résultats sont donc encourageants pour une réponse du monde agricole aux attentes sanitaires et environnementales de la société. Néanmoins, l’étude souligne que la réduction de l’usage des pesticides est faisable techniquement et économiquement « à conditions d’adaptations conséquentes des systèmes de cultures ». La diversification des cultures dans les rotations agricoles, la substitution de désherbants chimiques par des moyens mécaniques ou l’introduction de nouvelles variétés plus résistantes aux maladies font partie de quelques-unes des solutions à mettre en œuvre. Ces changements ne sont pas nécessairement faciles et uniquement de la seule responsabilité des agriculteurs. Pour diversifier les cultures, c’est-à-dire en introduire de nouvelles, il faut par exemple que le débouché économique soit présent en face et économiquement attractif. Une bonne organisation territoriale des filières agricoles peut donc contribuer, en diversifiant les débouchés agricoles, à accompagner les producteurs dans la diminution de l’usage des pesticides. Par ailleurs, le déploiement de techniques innovantes sur une exploitation agricole nécessite généralement un accompagnement des agriculteurs en conseils ou recherche, voir en soutien financier pour la prise de risque. Si la diminution de l’usage des pesticides est possible, c’est donc l’affaire de tous, et pas seulement des agriculteurs qui doivent être soutenus et encouragés dans leurs efforts. Les résultats des fermes DEPHY, mises en place dans le cadre du Plan Ecophyto en 2018 sont donc encourageants et montrent les voies à suivre pour diminuer l’usage des pesticides. Alors que ce plan, lancé en 2008 dans la dynamique du Grenelle de l’Environnement, visait une diminution de 50% de l’usage des pesticides en dix ans. Force est de constater que les objectifs ont loin d’avoir été atteints. Malgré ce plan, la consommation de pesticides a augmenté de 18% en France entre 2009 et 2015. Puissent donc les fermes de démonstration donner quelques billes aux producteurs pour diminuer l’usage des pesticides tout en maintenant leurs niveaux de rentabilité économique.