Les insecticides néonicotinoïdes, interdits mais présents pour combien de temps ?

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Accusés de graves impacts environnementaux, les insecticides néonicotinoïdes sont interdits en France depuis 2018. Pourtant, leurs effets toxiques risquent de se faire sentir encore longtemps…

Depuis le 1er septembre 2018, il est interdit d’utiliser des insecticides à base de néonicotinoïdes en France. Prévue par la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016, cette interdiction faisait suite à plusieurs années d’intense contestation de la part des organisations d’apiculteurs et des associations de défense de l’environnement.

Commercialisés à partir des années 1990, les néonicotinoïdes sont rapidement devenus la classe d’insecticides la plus utilisée au monde. Attaquant le système nerveux des insectes, ces substances ont l’avantage d’être systémiques, c’est-à-dire d’être absorbées par la plante et d’être présentes dans tous ses organes, assurant une exposition optimale des insectes ravageurs à l’insecticide. Bien qu’ils puissent être utilisés de différentes façons (en pulvérisation, en granulés, dans l’eau d’irrigation…) et sur une grande diversité de plantes, un usage très populaire est le traitement des semences de céréales avant le semis, protégeant la plante dès la germination. Ils permettent également de remplacer des familles d’insecticides connues pour leur toxicité, ou devenues inefficaces suite à l’apparition de résistances chez les insectes. Mais très vite, cette famille de molécules a été accusée de jouer un grand rôle dans le déclin des abeilles domestiques, ainsi que d’être responsable de mortalités importantes chez les abeilles sauvages, les insectes auxiliaires et les oiseaux, et peut-être même d’être toxique pour les humains. Elle est ainsi soupçonnée de jouer un rôle dans l’important déclin des insectes et des oiseaux des champs, observé ces dernières années en Europe. L’interdiction des néonicotinoïdes visait donc à faire cesser ces impacts environnementaux. Pourtant, même si leur usage a cessé, leur impact risque de se faire sentir encore longtemps.

 

Un continent contaminé

La première source d’inquiétude provient de la contamination généralisée des écosystèmes européens par les néonicotinoïdes. Une étude réalisée en Suisse, publiée en 2019, trouve ainsi des traces de néonicotinoïdes, à des niveaux potentiellement toxiques pour les invertébrés, dans plus de 90% des sols agricoles. L’élément le plus inquiétant est que les néonicotinoïdes ont également été détectés dans les sols cultivés en agriculture biologique, et dans la majorité des graines produites en bio. Comment expliquer cette dispersion ? Les insecticides pourraient être entraînés par le vent au moment de la pulvérisation mais ils pourraient également se disséminer fixés sur les poussières, émises par exemple lors du travail du sol.

Toujours en Suisse, une autre étude de la même équipe montre que les plumes de tous les moineaux domestiques analysés, prélevées dans 47 lieux différents, contenaient des traces d’au moins un néonicotinoïde. De l’autre côté de l’Atlantique, au Canada, des résidus de néonicotinoïdes sont fréquemment retrouvés dans le foie des dindes sauvages.

Au Royaume-Uni, des traces de néonicotinoïdes ont été détectées dans le pollen de fleurs sauvages collectées dans les haies, ainsi que dans le pollen collecté par des bourdons vivant pourtant en zone urbaine. Une contamination fréquente des eaux de surface a également été observée en Suède, aux Pays-Bas et en Suisse, à des concentrations toxiques pour les invertébrés aquatiques. Un résultat peu surprenant, car les néonicotinoïdes sont solubles dans l’eau.

 

Des précédents inquiétants

Les néonicotinoïdes sont partout dans l’environnement, et ils pourraient y être pour longtemps. Les précédents ne sont pas encourageants. L’atrazine, un herbicide, a été interdite en 2003. En 2011, elle était toujours le septième contaminant des eaux en France, et son principal produit de dégradation, l’atrazine-déséthyl, était le troisième. Le lindane, un insecticide, a été interdit en 1998. En 2009, il était toujours possible de le détecter dans de nombreux sols de France, y compris à des doses toxiques pour les organismes (Orton et al 2013). En remontant plus loin dans le temps, le DDT  a été interdit dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest dans les années 1970. Aujourd’hui, il est toujours possible de le détecter dans le lait maternel. Ces exemples montrent que les pesticides peuvent persister dans l’environnement longtemps après leur interdiction.

Une destinée similaire semble probable pour les néonicotinoïdes car ils sont considérés comme particulièrement stables. Les vitesses de dégradation varient beaucoup en fonction des différentes molécules et des conditions environnementales. La durée nécessaire pour que la moitié du produit soit dégradée est parfois de l’ordre de quelques jours, mais elle est souvent beaucoup plus longue. Dans des cas extrêmes, elle peut même atteindre 18 ans. Malgré les incertitudes, il est déjà avéré que nombreux néonicotinoïdes peuvent persister plusieurs années dans les sols. Il faut ajouter à cela que les produits de dégradation peuvent parfois être eux-mêmes toxiques (la question est en discussion dans le cas des néonicotinoïdes), et que des concentrations trop faibles pour causer la mort peuvent tout de même avoir des impacts sur la santé des animaux. Ainsi, l’ingestion de faibles quantités du néonicotinoïde acétamipride par les moineaux réduit la quantité de spermatozoïdes produite. Même sans mettre en péril la survie des individus, de tels effets peuvent à long terme impacter la survie des populations. Il n’est donc pas dit que les effets positifs de l’interdiction sur les populations d’abeilles et d’oiseaux se voient à court terme. Cet exemple met en évidence un problème récurrent des politiques environnementales : il ne suffit pas d’interdire une pratique pour voir disparaitre ses impacts.