Vous travaillez sur un type d’arbres particulier, la « trogne ». Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il y a derrière ce terme ?
Les trognes, que l’on nomme aussi selon les régions têtards, ragosses ou par bien d’autres noms encore, sont des arbres que l’on taille régulièrement à une certaine hauteur pour produire durablement du bois, du fourrage ou des fruits. On coupe ce que l’on appelle les « rejets » de l’arbre, c’est-à-dire des pousses qui peuvent prendre naissance sur le pourtour d’une souche, le long d’un tronc ou au sommet. Cette opération que l’on nomme recépage, a pour effet de favoriser des bourgeons latents qui vont donner de nouveaux rameaux. On prolonge et on favorise ainsi la croissance de l’arbre. On peut réaliser des trognes sur de nombreuses essences : saules, frênes, chênes, érables, platanes, tilleuls… Visuellement, une trogne ressemble à un arbre qui a une ou plusieurs grosses têtes, plusieurs troncs ou plusieurs « bras ». A chaque fois que l’on coupe les rejets, se forment des bourrelets de recouvrement donnant cette forme si particulière aux trognes.
Donc cette pratique de taille n’abîme pas les arbres ?
Pour une majorité d’essences feuillues pas du tout, dans la mesure où cette taille est correctement conduite et régulière. Les arbres taillés en trognes peuvent en réalité vivre plus longtemps. Beaucoup d’arbres remarquables en France sont des trognes, certaines âgées de plus de mille ans. Le fait de tailler l’arbre de cette manière réduit son ampleur dans l’espace le rendant moins sujet aux aléas climatiques comme exemple par les tempêtes, le givre ou la foudre. L’alimentation vers ses parties hautes est réduite, ce qui est un avantage quand les conditions de nutrition sont limitées.
Quels usages ont les trognes dans l’histoire de l’agriculture ?
Il existait des pratiques ancestrales que l’on ne soupçonnait. On a découvert il y a peu des trognes de chêne enfouies dans la vase d’une rivière en Angleterre, qui ont été datées à 4 500 ans. L’usage de l’époque était certainement lié à l’élevage : tailler les arbres en trognes permettait de maintenir leur production hors de portée de la dent du bétail. Les trognes ont pendant très longtemps été un moyen de subsistance très important pour des paysans.
Et aujourd’hui, quels sont les avantages agricoles des trognes ?
Ils sont multiples. D’abord, une trogne est un arbre dont on va maîtriser la croissance et par conséquent sa concurrence vis à vis des cultures avoisinantes -lumière, eau, nutriments, gêne des branches-, tout en bénéficiant des ses apports. Ensuite, la biomasse des rejets régulièrement taillés va permettre de produire du Bois Raméal Fragmenté, pour améliorer les sols dégradés et pailler des plantations, de la litière ou du fourrage pour le bétail, des fagots pour les paysans boulangers, du bois-énergie pour alimenter les chaudières, voire dans certaines régions de stimuler la fructification des glands sur les chênes pour les porcs. Lorsque les arbres sont destinés à produire du bois d’œuvre, l’agriculteur en tire généralement le revenu au bout de plusieurs dizaines d’années. C’est même souvent la génération qui lui succède qui en profite. La trogne, par ses tailles régulières, apporte un bénéfice beaucoup plus rapide à l’agriculteur. De plus les recépages réguliers favorisent la formation de cavités, notamment, au niveau des coupes. Ces cavités sont de formidables réservoirs à biodiversité : elles accueillent des chauves-souris, des chouettes et d’autres oiseaux cavernicoles, des insectes recycleurs du bois mort, et même des ruches spontanées. Ce sont de véritables atouts pour développer une agriculture écologique qui a besoin de cette biodiversité pour fonctionner. Avec les trognes, la conservation du tronc et son évolution sont un atout majeur pour le maintien de la biodiversité.
En vivant plus longtemps que des arbres non taillés et en produisant régulièrement du nouveau bois, les trognes sont-elles des instruments permettant aux arbres de mieux stocker le carbone présent dans l’atmosphère ?
Effectivement. La pousse prolongée des trognes apporte une captation plus importante de dioxyde de carbone par rapport à des arbres conduits classiquement. Ce sont des usines à photosynthèse et à bois et donc une solution pertinente dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. Un arbre qui n’est pas en trogne va, par sa durée de vie inférieure et sa pousse limitée, plus rapidement plafonner en termes de croissance et donc de captation de carbone.
Vous avez décrété 2020 année de la trogne. Pourquoi ?
C’est une idée conjointe que nous avons eue avec Alain Canet. Nous avons senti que c’était le moment de valoriser cette pratique ancestrale, mais parfaitement d’actualité. Ces arbres paysans que l’on voyait comme des arbres mutilés sont en réalité des solutions géniales pour répondre à nombre de défis climatiques, agricoles et environnementaux. C’est le couteau-suisse de l’agroforesterie. Cette année de la trogne est un succès qui dépasse nos espérances avec plus de cinquante actions qui vont avoir lieu dans toute la France.