Star des fêtes et de la pâtisserie, promu pour ses qualités d'antidépresseurs, le cacao et son dérivé le chocolat sont devenus des incontournables des ménages occidentaux. Mais comme pour beaucoup de produits alimentaires dont la consommation a considérablement augmenté ces dernières décennies, sa production, encore quasi-exclusivement effectuée chez des petits producteurs, reste discutable.
Après les pâtes alimentaires, l’huile et le sucre, le chocolat en tablette est le quatrième plus gros marché alimentaire en France : 93 % des foyers en achètent. La production de cacao mondiale représente plus de 4 millions de tonnes, produites par une petite poignée de pays. Originaire d’Amérique latine et introduit en Afrique à la fin du XIXème siècle, le cacao et sa production sont aujourd’hui concentrés en Côte d’Ivoire, au Ghana (ces deux pays représentent plus de 70% de la production mondiale), et dans une moindre mesure en Indonésie, au Nigeria, au Cameroun et au Brésil. Une quarantaine de pays produisent en de plus faibles proportions la fameuse fève de cacaoyer, situés entre les tropiques du cancer et du capricorne.
Une petite poignée de multinationales gère ce marché très rentable et en pleine expansion. Citons les célèbres Kraft, Mars, Nestlé, Ferrero. Les États-Unis, la France, l’Angleterre et l’Allemagne consomment la moitié de cette production, mais certains pays asiatiques comme le Japon voient ces dernières années la consommation fortement augmenter, en partie à cause du mimétisme alimentaire occidental, également responsable de la forte avancée de la consommation de viande carnée en Asie.
Pas de chaleur, pas de chocolat
Très sensible au froid, le cacaoyer ne pousse volontiers que dans les tropiques, entre 0 et 800 mètres d’altitude, où règnent des conditions de chaleur et d’humidité adéquates. Le soleil direct n’étant pas requis pour cette culture, la plupart des plantations sont effectuées en forêts, où la plante peut bénéficier de l’ombrage généré par les arbres et arbustes. Dans les pays tropicaux, l’agroforesterie est nettement plus répandue que dans les climats plus tempérés. Cette pratique associe sur une même parcelle plusieurs productions dont des arbres, et repose sur la complémentarité entre ces dernières pour les différentes ressources
Trois variétés constituent l’essentiel du volume de fèves produit : Criollo (10%), Forastero (70 % de la production, goût peu prononcé et jugé moins subtil, essentiellement en Afrique), et la variété Trinitario, issue du croisement de criollo et forastero. En moyenne, un arbre produit 1 kg de fève par an, l’espérance de vie d’un cacaoyer étant d’environ 40 ans. Du fait de la création de variétés modernes plus productives, les rendements d’une plantation à l’autre sont très variables : de 350 kg par hectare pour les variétés anciennes à 3 tonnes par hectare pour les variétés modernes. Les fèves sont récoltées, puis une fermentation naturelle a lieu avant un séchage au soleil ou via un flux d’air chaud. Les fèves obtenues sont ainsi concassées puis torréfiées de 100 à 140°C. Une partie de la masse obtenue est mise dans une presse afin d’obtenir d’une part du beurre de cacao, d’autre part des galettes de chocolat. La proportion de ces deux parties – cacao et beurre de cacao – dans le mélange final détermine en bonne partie le goût, la qualité et l’utilisation du chocolat final. En France, au moins 30 % de cacao sont requis pour produire du « chocolat de cuisine », 35 % pour du « chocolat à croquer », et minimum 43 % pour du chocolat dit « supérieur ». Le beurre de cacao étant souvent cher, les législations propres à chaque pays rendent possible l’utilisation de produits de substitution. En Europe, un seuil est fixé à 5% maximum.
Entre 40 et 50 millions de personnes dépendent de la production de cacao pour vivre. 90 % des fermes sont de petites exploitations de moins de 10 ha. Ces 5,5 millions d’exploitations ne bénéficient que peu de l’essor de la consommation de cacao. En moyenne, le producteur n’est rémunéré qu’à hauteur de 5 à 7 % du prix final de la tablette. Les exportateurs de cacao génèrent ainsi 30 fois moins de revenus que les confiseurs. Dans certaines plantations sont encore pointés du doigt les travaux dangereux effectués par des enfants : transports de lourds sacs de fèves, traitement chimique et récolte en haut des arbres sans protection, absence de soins en cas de blessures… et ce malgré le développement du chocolat dit « équitable ». « Il est malhonnête de la part des entreprises de communiquer sur leur engagement en matière de responsabilité sociale, tout en omettant d’investir suffisamment dans l’abolition du travail des enfants esclaves”, déclare Flurina Doppler, de la Déclaration de Berne, ONG ayant consacré plusieurs rapports aux enjeux liés au cacao. Ils sont beaucoup plus intéressés à assurer leur approvisionnement en cacao qu’à améliorer les conditions sociales. » De plus, initialement contrôlé par les états producteurs, le marché est aujourd’hui géré quasiment intégralement par les industriels de la transformation et de la vente de chocolat, ce qui a largement contribué à diminuer les revenus des producteurs. Les nouvelles générations de cacaoculteurs s’écartent de cette production, peu rentable car avant tout dédiée à l’augmentation des volumes plus qu’à la pérennité des exploitations, causant des craintes futures d’un déficit structurel à l’échelle de la production mondiale.
Équitable pour qui ?
Et le chocolat équitable dans tout ça ? Du fait de l’intérêt croissant des consommateurs pour des produits respectueux des hommes et de l’environnement – mais aussi des perspectives économiques que constituent le marché de « l’équitable » pour les entreprises – la part de ces chocolats dans la consommation des ménages augmente doucement. Le cahier des charges s’appuie sur un système qui privilégie une récolte manuelle, la limitation des intrants extérieurs, la préservation des milieux semi-ouverts agroforestiers propres à cette culture, une taille d’exploitation limitée en moyenne à 3 hectares par famille, ainsi qu’une fertilité naturelle des sols basée sur la valorisation de la biomasse auto-produite par ces forêts. C’est le cas par exemple du chocolat de la marque « Ethiquable », en Côte d’Ivoire. La production de cacao équitable Faitrade / Max Havelaar, leader mondial du commerce équitable, représente aujourd’hui 122 000 producteurs pour 35 000 tonnes de cacao équitable vendues en 2010. Notons que ce chiffre ne représente que 1 % de la production mondiale de cacao ! Alors pourquoi un chiffre aussi bas ? « Pour l’industrie du chocolat, ce qui prime, c’est d’assurer l’offre de cacao, et donc augmenter le rendement », note toujours la Déclaration de Berne. Et de préciser que la plupart des entreprises ne sont pas prêtes à payer le prix de cette traçabilité, à l’heure où la consommation en cacao explose dans nos sociétés.
Il s’agit à travers ces initiatives de protéger cette production des dérives liées à la mécanisation à outrance et plus globalement de l’artificialisation du système pour optimiser la production. En Côte d’Ivoire toujours, on estime que les plantations de cacao ont ainsi remplacé 80 % de la forêt tropicale, ce qui incite à la recherche de variétés poussant plus facilement en plaine, mais devraient également inciter tout un chacun à remettre en question ses habitudes alimentaires. C’est sûr qu’avec du chocolat équitable – souvent d’au moins 30 à 50 % plus cher que le cacao conventionnel – le prochain lapin de Pâques ne coûtera sûrement pas le même prix…