Comme chaque année, fin février, la France vit au rythme du Salon de l’Agriculture, porte de Versailles. L’occasion de mettre en avant les problématiques d’une profession comptant en son sein de moins en moins d’actifs et exprimant régulièrement son inquiétude quant à son avenir. Loin de promouvoir une image d’Épinal de l’agriculture, ce rendez-vous est l’occasion de montrer la réalité des fermes françaises et de leurs contraintes. En premier lieu, leur santé économique, en moyenne déclinante : environ 30% des agriculteurs gagnent moins de 300€ par mois. Les cessations d’activités, redressements judiciaires ou placements en sauvegarde des exploitations continuent de grimper d’année en année passant d’environ 1000 par an en 2013 à plus de 1200 en 2017, alors que ces mêmes phénomènes ont diminué l’an dernier dans bien des secteurs d’activités. Dans ce contexte, il faudra tout de même souligner les bonnes performances de l’agriculture biologique, dont l’INSEE a montré la meilleure rentabilité par rapport à l’agriculture conventionnelle pour la viticulture, le maraîchage et la production de lait de vache. Les nombreuses conversions dans l’Ouest de la France sur cette dernière filière attestent de l’opportunité économique que peut représenter le bio pour des agriculteurs régulièrement confrontés aux crises du lait à répétition.
La vente directe, un atout économique
Derrière ces chiffres se cachent bien des réalités et une complexité des situations : tout dépend du type de production et du circuit de valorisation. Si, à la surface engagée en production, les producteurs bio s’en sortent en moyenne mieux que leurs collègues conventionnels, malgré une productivité généralement moindre, c’est souvent le fait d’une meilleure valorisation et d’une plus grande maîtrise du devenir des productions. Pour 90% des exploitations maraîchères bio diagnostiquées par l’INSEE, la commercialisation se fait en partie ou entièrement en circuits courts, permettant un meilleur revenu pour le producteur, du fait de l’absence d’intermédiaires entre eux et le consommateur final. La proportion de maraichers ayant recours aux circuits courts tombe à moins de 50% en conventionnel. Les exploitations laitières, qu’elles soient bio ou non bio, valorisent nettement moins en circuits courts, du fait des procédés souvent plus lourds de transformation des produits. En revanche, malgré une productivité 20 à 25% inférieure au conventionnel, les éleveurs laitiers bio s’en sortent économiquement mieux que les conventionnels du fait d’un prix du lait supérieur de 18% et d’un recours moindre aux aliments concentrés et au maïs d’ensilage, grâce à l’autoproduction de fourrages. Autrement dit, si le chiffre d’affaires (le total des rentrées d’argent) est inférieur en bio par rapport au conventionnel, le revenu (ce qu’il reste dans la poche de l’agriculteur une fois les factures payées) est quant à lui supérieur.
Maîtriser la construction des filières longues
Au-delà du mode de production –bio ou non bio-, ces exemples illustrent les liens très fins entre organisations commerciale et technique et revenus économiques des agriculteurs. Si la vente directe et les circuits courts sont une évidence pour garantir une bonne valeur ajoutée à l’hectare, leur généralisation n’est pas nécessairement possible. L’approvisionnement en nourriture de millions d’habitants des grandes agglomérations ne se fera pas uniquement via des AMAP ou des marchés de proximité pour des raisons aussi bien de logistique que d’habitudes alimentaires. Néanmoins, ces modes de commercialisation de proximité peuvent se faire à grande échelle, comme les travaux de Ronan Le Velly, maître de conférence en sociologie à Montpellier Supagro, l’ont montré avec l’AMAP Poisson, capable d’approvisionner de manière organisée 2000 familles de Loire-Atlantique en produits de la mer. De la même manière, les étapes de transformation des produits demandent généralement des investissements, facteur limitant de transformation à la ferme. Si des exploitations sont parfaitement viables en produisant leur pain ou fromage à la ferme, d’autres peuvent l’être en vendant des céréales à des coopératives, sur des marchés souvent mondialisés. L’important est la maîtrise, par les producteurs, d’un minimum de valorisation de leur production. Les annonces en ce sens faîtes par Emmanuel Macron sur la prise en compte des coûts de production agricole dans la rémunération des matières premières et l’introduction d’un seuil de revente à perte de 10% aux distributeurs de produits alimentaires sont un pas en avant notable. Mais au-delà des aspects législatifs, l’agriculture française doit-elle courir après la compétitivité des exploitations céréalières ukrainiennes ou des poulets d’Amérique du Sud ? Difficile de lutter avec les mêmes armes, à moins d’une industrialisation plus importante de l’agriculture, via des fermes de plus grande taille et encore plus productives. A l’opposé, le développement d’une agriculture basée, en partie sur des marchés de qualité, une montée en gamme et une valorisation des terroirs peut représenter un modèle viable de développement, plus adapté à de nombreuses zones du territoire français, comme ont su le faire les exploitations viticoles par exemple. Chacun de ces deux modèles trouvera à coups surs ses adeptes. Dans un cas comme dans l’autre, l’organisation commerciale des producteurs pour peser dans les filières apparaît comme une nécessité. Leur regroupement dans des structures où ils peuvent réellement peser sur des marchés en commercialisant ou transformant leurs production via des outils communs est sans doute un point clé. Sans perdre le lien aux territoires dans lesquels elles sont implantées et aux consommateurs qui les occupent, ces nouvelles filières nécessairement à grande échelle doivent réussir le pari de nourrir des dizaines de milliers d’habitants. Des exemples réussis sont déjà nombreux comme l’Appellation d’Origine Protégée Comté dans laquelle les producteurs maîtrisent la transformation de leur production, Bio Loire Océans regroupant près d’une cinquantaine de fermes biologiques qui fournit le réseau deBiocoop vendéennes ou encore Manger Bio, toujours en Vendée, qui permet de livrer 1,5 millions de repas en cantine scolaire par an. Si ces exemples ne sont pas nécessairement des modèles duplicables à l’infini et à l’identique, leur fonctionnement mérite d’être étudié et diffusé pour éclairer producteurs et consommateurs dans le but de bâtir les filières de demain : respectueuses des producteurs et désirables par les consommateurs. Nul doute que ses questions risquent d’occuper les discussions dans les allées du Salon.