L'agriculture urbaine a le vent en poupe. François Léger, chercheur à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) et à l’école d’agronomie AgroParisTech, répond aux questions de Graines de Mane concernant l'histoire et les enjeux de ce mode de production.
Selon la FAO – Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture – 800 millions de personnes dans le monde sont impliquées dans l’agriculture urbaine ou périurbaine. Pouvez-vous donner une définition de cette agriculture ?
François Léger : Nous utilisons une définition créée dans les années 90 qui considère l’agriculture urbaine comme inscrite dans l’espace urbain ou à proximité des villes, mais dont le fonctionnement est conditionné par la relation à la ville. Les agricultures urbaines ne se définissent pas par une distance physique à la ville, mais par une intensité d’interaction avec la ville.
Peut on aujourd’hui quantifier l’importance de ce phénomène ?
FL : La quantification est toujours la question piège. On est capable de quantifier le nombre d’exploitations agricoles dans un périmètre urbain, sans qu’elles répondent forcément à la définition énoncée précédemment. Par exemple, une grande partie de l’agriculture du bassin parisien est proche des villes, mais son lien à la ville est quasi inexistant, c’est une agriculture ‘ordinaire’. Cela complique l’évaluation.
Existe-il des expériences marquantes en France ou ailleurs d’agricultures urbaines ?
FL : Il y a actuellement plusieurs expériences assez marquantes en France. Certaines sont symboliques : quand l’office d’HLM de Tours décide de construire un ensemble HLM en y incorporant un projet de ferme par exemple. C’est une première initiative d’urbanisme incorporant volontairement de l’agriculture, au-delà d’une simple opération de communication.
En remontant un peu dans le temps et toujours en France, on peut également évoquer l’exemple de Paris au 19ème siècle, qui était un énorme bassin de production agricole, autosuffisant pour la plupart des légumes de base, et qui exportait même des salades jusqu’à Londres. La réussite de cette agriculture urbaine, qui atteignait des rendements jamais égalés avec l’agriculture moderne, était d’abord liée à la main d’œuvre importante disponible en périphérie urbaine à cette époque. En outre, elle recyclait les déchets urbains. Au 19ème siècle, on avait des quantités de fumiers énormes du fait des transports à cheval. Ces agricultures urbaines ont prospéré plus ou moins jusqu’à la guerre de 1914 qui a entraîné une perte de main d’œuvre et une disparition progressive des chevaux.
Ailleurs dans le monde, l’une des expériences marquantes est Cuba, après la chute de l’URSS qui la soutenait face à l’embargo américain. Cuba a résolu son problème d’autosuffisance alimentaire en remettant à la production des urbains, tout en adaptant des méthodes assez remarquables au niveau agronomique. Un autre exemple très connu est Détroit, avec la mise en place d’’une agriculture urbaine non marchande, mais plutôt dans des logiques de resocialisation de population en situation de détresse sociale à travers la pratique d’un jardinage qui a vraiment la fonction d’alimenter la communauté.
Selon la maire de Paris Anne Hidalgo, « Paris doit installer une ceinture maraîchère pour notamment réduire les circuits de transports des aliments. On sait qu’on ne sera pas auto-suffisant, mais on peut aller vers quelque chose qui atténue la séparation entre le territoire rural et le territoire urbain ». Quels doivent être les premiers chantiers pour arriver à cet objectif ?
FL : Si chantier il doit y avoir, le premier tourne autour du foncier. Si l’agriculture urbaine a disparu, c’est aussi parce que la pression sur le foncier est devenue considérable. Même un agriculteur avec des niveaux élevés de production de légumes ne fait pas le poids face à la construction d’un immeuble de 15 étages en termes de rentabilité au mètre carré. Pour penser la question foncière, il faut donc repenser notre vision de l’urbanisme : les déplacements des populations, la localisation relative des zones d’habitat et des zones de travail, mais aussi la question de la place de la nature dans le fonctionnement de l’écosystème urbain. On ne va pas passer du jour au lendemain à l’indépendance alimentaire de Paris qui doit avoir actuellement une semaine de réserve alimentaire et est nourrie à flux tendu. En revanche, commencer à multiplier les expériences d’agriculture urbaine est important.
Il faut aussi penser à la capacité des systèmes agricoles traditionnels à survivre sur des surfaces réduites, d’où l’intérêt des travaux sur le maraîchage biointensif. Pourquoi bio ? Parce qu’on ne peut pas imaginer des systèmes conventionnels sous les fenêtres de 2000 personnes. L’agriculture urbaine sera biologique ou bien ne sera pas. Il faut donc faire un travail sur les conditions techniques qui permettent de survivre en condition urbaine, pas seulement en termes de techniques agronomiques, mais aussi dans la façon dont les fermes s’intègrent dans leur paysage social de proximité immédiate. Si vous n’êtes pas lié à la communauté locale et que vous produisez des fruits, le risque de vols par le voisinage est élevé. Mais on voit des expériences anciennes de jardins amateurs et quelque fois de jardins professionnels qui, parce qu’ils sont parfaitement intégrés dans la communauté locale, n’ont pas de problème de vol, et quand il y en a, ce sont les voisins qui vont vous défendre.
Si l’agriculture urbaine a disparu, c’est aussi parce que la pression sur le foncier est devenue considérable
Difficile de parler de production alimentaire en ville sans aborder la question de la pollution possible de ces produits. L’agriculture urbaine produit-elle des aliments aussi sains qu’à la campagne ?
FL : Parmi les axes de travail de notre équipe de recherche, nous étudions le potager établi sur le toit de l’école d’agronomie à Paris, sur la contamination des polluants aériens, ou par les sols. De façon assez étrange, sur le toit de l’école, en plein cœur de Paris, assez en hauteur et avec des courants d’air, on a des niveaux de contamination aériens – métaux, hydrocarbures…- pas forcément plus élevés, voire plus faibles, que ceux que l’on va observer à 80 km de Paris à la campagne. Cela s’explique par le fait que les nuages passent sur Paris et emportent l’air qui, arrivant sur des zones plus fraîches, ralentit et pose les polluants. Le premier problème de l’agriculture urbaine est sans doute la pollution des sols. On récupère souvent des friches, des anciennes usines, avec quelque fois des niveaux de contamination forts : produits chimiques, métaux lourds, etc., rendant les légumes impropres à la consommation. Il existe des techniques de scrapping – on enlève une couche de terre pour en mettre une autre – mais les coûts sont démesurés !
Aujourd’hui, si je veux devenir agriculteur en milieu urbain ou péri-urbain, vais-je bénéficier du même statut qu’en milieu rural, notamment vis-à-vis de la sécurisation des terres ?
FL : Pas vraiment, non. En zone rurale, si vous ne voulez pas quitter vos terres, en général sauf projet d’intérêt général type autoroutes, on ne vous expropriera pas. En ville, la question est bien différente. La stabilisation du foncier y naît de la conviction citoyenne locale afin de convaincre les élus que cette agriculture est importante. Donc il n’y a pas d’agriculture urbaine sans lien fort avec l’ensemble des autres habitants, et une pensée de l’urbanisme qui défend l’ensemble des fonctions qu’elle peut porter : de l’agrément visuel jusqu’à la réduction de la chaleur urbaine, voire à des fonctions symboliques de besoin de nature exprimé par les urbains. L’enjeu de l’agriculture urbaine en matière de résilience se situe dans la construction du lien social avec les autres citoyens. Il n’y a pas d’agriculture plus citoyenne que l’agriculture urbaine, de gré ou de force.
Quels sont les grands défis de la recherche sur cette thématique ?
FL : Le grand défi de la recherche, est de penser des systèmes techniques dans l’intégration territoriale. Quels choix fait-on sur les systèmes techniques, lorsque l’on veut fournir un certain nombre de services, dont des services symboliques, et des légumes ? Quelque part, il s’agit d’avoir une agronomie par territoire qui ne soit pas une addition de fermes, mais une agronomie qui pense le territoire comme ressource de la ferme à tous points de vue. Cette approche est assez balbutiante pour le moment. L’autre enjeu, c’est de créer du lien de travail et de l’interdisciplinarité entre agriculture et urbanisme pour rompre avec un certain nombre de présupposés.
Existe il des freins particuliers au développement de ce type d’agriculture en France ?
FL : L’un des problèmes de la ville, c’est les déchets qu’elle produit. L’une des questions qui va être posée est le rôle de l’agriculture dans l’économie circulaire des espaces urbains. A ce niveau, il y a énormément de progrès technologique à faire, car les matières organiques urbaines sont souvent polluées par des métaux, des polluants chimiques et des résidus médicamenteux. La question sera donc de savoir, dans un système qui cherche le recyclage maximal des matières, à éliminer cette pollution. Repenser les stations d’épuration pour qu’elles ne rejettent pas notamment les résidus médicamenteux mais de l’eau totalement propre est un chantier considérable.