Depuis tout temps, la Lune fascine l’être humain. L’unique satellite naturel de la Terre est réputé pour avoir un effet considérable sur les êtres vivants et l’environnement. Accouchements plus nombreux, insomnies, pousse accélérée des cheveux sont autant de croyances populaires liées aux soirs de pleine Lune. En jardinage, de nombreux écrits, depuis l’Antiquité, indiquent un effet de la Lune sur la poussée et la croissance des végétaux. La presse spécialisée en jardinage actuelle n’est pas en reste. Il faudrait, selon elle et le mouvement de l’agriculture biodynamique, tenir compte des mouvements de la Lune pour planter, tailler, repiquer, semer ou récolter. « Semer ses tomates en Lune montante, planter ses rosiers en jours-fleurs, tailler les lilas en Lune descendante… » : les conseils via les calendriers lunaires sont nombreux. Pour les adeptes du jardinage avec la Lune, plusieurs phénomènes entrent en considération, dont le mouvement de la lune par rapport aux constellations :
- La Lune est dite « montante », lorsqu’ elle passe de la constellation du sagittaire, la plus basse à celle des gémeaux, la plus haute. C’est alors un jour dit « feuille », pendant lequel la sève monterait dans les plantes et gonflerait leurs parties aériennes.
- La Lune est dite descendante lorsque son mouvement l’entraîne des gémeaux vers le Sagittaire, c’est alors un « jour racine », pendant lequel la sève redescend dans les racines.
Ces concepts en tête, il faudrait donc semer les plantes et légumes cultivés pour les feuilles (les choux, les épinards, les salades…) les «jours-feuille » et ceux cultivés pour leurs racines ou parties souterraines (navets, carottes, pommes de terre…), les « jours racines ». Il est ainsi expliqué sur le site de jardinage Rustica : « Lorsque la Lune passe devant les constellations du Taureau et du Capricorne en lune ascendante, et devant la Vierge en lune descendante (ce sont des constellations en affinité avec l’élément Terre), la Lune influe davantage sur le système radiculaire, les racines et autres parties souterraines des végétaux, ce qui détermine les jours-racines. » A cela s’ajoute souvent le concept des « nœuds lunaires », moment pendant lesquels la Lune coupe le plan de rotation de la Terre autour du soleil. Selon les adeptes de l’agriculture biodynamique, les végétaux seraient particulièrement sensibles au passage de la pleine lune sur ces nœuds.
Pas ou très peu d’effet de la Lune
Il résulte de la description de tous ces phénomènes, des conseils aux jardiniers ou agriculteurs parfois très compliqués, comme en témoignent ceux de Rustica, qui va jusqu’à recommander des horaires précis de jardinage pour certains jours : ne pas jardiner avant 15h20 le 11 mars 2018, et avant 10 heures le 14. Mais ses conseils avisés, et on ne peut plus précis, ont-ils pu être démontré scientifiquement ? Pour évaluer le bien-fondé de ces pratiques ancestrales, la Société Nationale d’Horticulture de France, a publié en 2012, un rapport analysant en détail les résultats des études mondiales menées à ce sujet. S’il est vrai que les scientifiques ayant travaillé la question sont peu nombreux, les auteurs du rapport pointent très clairement le fait que les travauxn’apportent pas de confirmation d’un effet de la lune sur les végétaux. Les études disséquées au sein de ce rapport sont de deux ordres : celles prétendant montrer un effet de la Lune et celles ne montrant aucun effet. Pour celles de la première catégorie, les résultats ré-analysés, ne se révèlent pas fiables statistiquement, condition sans laquelle un résultat prétendu ne peut être interprété de manière claire et solide. La deuxième catégorie d’études, solides statistiquement, ne montrent quant à elles aucun effet de la Lune sur la croissance où le rendement des récoltes. Au début des années quatre-vingt, une expérimentation est réalisée pendant trois années sur radis dans une exploitation en biodynamie. Des corrélations très élevées sont alors mises en évidence entre le rendement des cultures et des facteurs agronomiques dits « traditionnels », comme la date de plantation, la pluviométrie ou les températures. A l’inverse, les effets lunaires sont montrés comme négligeables. Une expérimentation du même esprit menée en 1992 a consisté à semer une série d’arbres africains (Maesopsis eminii) avant et après la pleine Lune. En comparant la croissance des plants avant et après la pleine lune, aucune différence significative de hauteur n’est remarquée.
Garder les pieds sur terre
En conclusion, les études vont généralement dans le même sens : si effet de la Lune il y a, il est très faible et beaucoup moins impactant que des facteurs agronomiques tels que la qualité du semis ou la météo. Dans les rares cas où une légère influence de la Lune est mise en évidence, cette dernière n’est pas statistiquement significative, et ne permet donc pas une interprétation quelconque des résultats. Si la Lune n’a pas d’effet sur les plantes, alors comment expliquer qu’elle en a sur les marées ? C’est probablement justement parce que les marées représentent des volumes d’eau énormes que la lune est en mesure de les influencer, alors que les plantes représentent des volumes d’eau négligeables. Ces résultats vont contre des croyances ancestrales et même presque ce qui paraîtrait logique ou explicable.En somme, cette histoire nous rappelle que ce qui peut nous paraître logique, de bon sens, ou « connu de tout temps » ne passe pas nécessairement l’épreuve des faits. Or étudier la réalité d’un ressenti permet de théoriser ce dernier, sans même prétendre l’expliquer.
Que conclure de tout ça, outre le seul (non) fait de la Lune ? Faut-il jeter l’opprobre sur les jardiniers ou les agriculteurs qui travaillent avec la lune ? Bien sûr que non. Chacun est libre de travailler comme il l’entend et avec les références et les moyens qui lui apportent satisfaction. Et ces dernières peuvent ne parfaitement ne pas être démontrés ou dits rationnels. Les pratiques agricoles ne se limitent pas à de la biologie. Leurs réalisations est le fait d’un praticien-le jardinier ou l’agriculteur- qui travaille avec des objectifs qui lui sont propres : revenu, confort, satisfaction personnelle. Si des jardiniers ou des agriculteurs ressentent une plus grande satisfaction dans leurs actes en prenant en compte la lune ou d’autres pratiques pas nécessairement étayées scientifiquement, alors ce n’est que positif pour leur propre expérience. Là où la vigilance doit s’installer, c’est dans la diffusion et la contextualisation de ces pratiques : ne pas présenter des faits comme établis lorsqu’ils ne le sont pas, ou pas encore. L’effet des techniques alternatives mérite d’être étudié dans sa dimension globale : agronomique, économique et sociale. A chacun ensuite de se faire son avis et son expérience en toutes connaissances de cause et de partager les bénéfices et limites de son système.