Chaque année, dix millions d’hectares de terres cultivables sont perdus au niveau mondial du seul fait de l’érosion ou de l’épuisement avancé des sols. A cela, il faut ajouter les vingt-millions d’hectares de terres agricoles qui sont perdues chaque année en raison du développement immobilier et urbain. La France n’est pas exempte de ce constat tant en termes quantitatifs que qualitatifs. Chaque année, l’hexagone perd 78 000 ha de surface agricole, soit l’équivalent d’un stade de foot toutes les cinq minutes. Et cette artificialisation touche principalement les meilleurs terres, autour des villes et des axes de communication, là où l’être humain s’est historiquement installé. Cette disparition du foncier agricole pourrait même remettre en cause l’indépendance alimentaire française et européenne, avec des besoins d’importations accrus, dans un contexte d’augmentation de la population mondiale. Sans compter le réchauffement climatique qui devrait encore aggraver la sécurité alimentaire mondiale.
Au-delà des aspects quantitatifs, il convient de s’attarder également sur la qualité des sols. Si préserver les surfaces agricoles est un enjeu crucial, se soucier de leur qualité l’est tout autant. Or, les sols sont fragiles : érosion, tassement, perte de nutriments ou de biodiversité, acidification, salinisation…. Les menaces sont nombreuses et sont responsables chaque année de pertes de 25 à 40 milliards de tonnes couches superficielles de sol au niveau mondial. Or, cette couche fertile d’environ 30 cm est essentielle au bon fonctionnement des systèmes agricoles. C’est elle qui fournit les éléments nutritifs indispensables à la croissance des plantes, filtre l’eau, stocke du carbone et abrite 80 % de la biomasse de la terre avec, pêle-mêle, vers de terre, champignons et bactéries. Le problème est que cette « biomasse invisible » est capitale. Elle va permettre de dégrader la matière organique dite « fraîche », c’est-à-dire composée de jeunes végétaux, en nutriments pour les plantes ou en matière organique stable, appelée humus. Ce dernier permet d’assurer au sol une bonne tenue et de, par exemple, mieux retenir l’eau et mieux résister à l’érosion. La matière organique est donc la clé de voûte des systèmes agricoles, dans lesquels le sol n’est pas un simple support de la plante, comme les excès de l’agriculture intensive ont pu le laisser croire avec l’utilisation massive d’engrais de synthèse et de labours profonds.
Des agriculteurs qui remettent le couvert
A l’encontre de ces pratiques, de nombreux producteurs s’inscrivent aujourd’hui dans un mouvement de plus en plus large dit d’ «agriculture de conservation ». Cette dernière vise à préserver au maximum la vie du sol par la mise en place de pratiques agricoles innovantes. La première de ces pratiques consiste à supprimer, ou réduire fortement, l’utilisation de la charrue. En effet, partout dans le monde, les sols labourés ont une vie du sol bien moindre que les sols non labourés. La charrue, en retournant le sol, perturbe la vie en son sein. L’autre pilier de ce type d’agriculture est d’avoir un sol le moins nu possible, et donc le moins exposé à l’érosion due aux pluies ou aux vents. Cette couverture du sol peut être assurée aussi bien par les résidus laissés en place d’une culture précédemment récoltée que par l’implantation de plantes non récoltées et uniquement destinées à occuper le sol entre deux cultures récoltées. On parle alors de « couverts végétaux », dont la biomasse produite sera entièrement restituée au sol pour le plus grand bonheur de ses habitants, qui en feront d’excellents repas.
Mais se passer de la charrue reste compliqué à appréhender, tant son utilisation pour lutter contre les mauvaises herbes est reconnue. Par ailleurs, nombre de praticiens de l’agriculture de conservation sont encore techniquement dépendants de l’utilisation d’herbicides pour maîtriser le salissement de leurs parcelles ou le développement des couverts végétaux, afin que ces derniers ne viennent pas concurrencer les cultures récoltées. La potentielle suspension de l’utilisation glyphosate inquiète d’ailleurs des partisans de l’agriculture de conservation qui utilise cet herbicide pour maîtriser efficacement au bon moment leurs couverts végétaux. Leur maîtrise par des outils de travail du sol reste en effet plus incertaine, même si des recherches pour une agriculture de conservation sans pesticides sont actuellement en train de voir le jour.
Quoiqu’il en soit, le développement de ces techniques apparaît être un enjeu capital pour préserver la fertilité de nos sols agricoles, leur capacité à stocker du carbone, et pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique. A l’heure de la conférence de Paris sur le climat et des Etats Généraux de l’Alimentation, il serait temps de prononcer, cette phrase, déjà entonnée par des milliers d’agriculteurs à travers le monde : « Make our soils great again ! ».