S’il y a un métier qui nécessite une adaptation permanente de ses savoirs et pratiques, c’est bien celui d’agriculteur. Chaque jour ou presque, les agriculteurs font évoluer leur manière de travailler pour répondre à de multiples défis au premier rang desquels le changement climatique et la diminution de l’impact de leurs pratiques sur l’environnement. Dans les deux cas, l’agriculture représente d’ailleurs un levier considérable pour répondre à ces défis. Ainsi, par exemple, des agriculteurs tentent de réduire leur consommation de produits phytosanitaires, de limiter le labour et de mettre en place des couverts végétaux, de réintroduire des arbres dans les cultures… Voilà simplement un petit échantillon de quelques pratiques innovantes expérimentées au champ et qui permettent d’améliorer à la fois notre santé, celle de notre environnement, de nos sols ou encore la qualité de l’eau que nous buvons. Pour les mettre en place, ces paysans-expérimentateurs ont dû prendre des risques et en premier lieu celui de l’échec.
Trouver les pratiques les plus adaptées à son climat ou à son sol est en effet bien souvent le fruit d’une multitude de tâtonnements sur plusieurs années pour pouvoir en tirer des conclusions sérieuses. S’ils sont aidés en ce sens par les acteurs de la recherche et du développement agricole, l’action de ces derniers ne peut suffire. Passer de l’expérimentation contrôlée en station expérimentale aux enjeux complexes du fonctionnement d’une ferme peut se révéler en effet périlleux. L’innovation mise au point par les instituts de recherche sera-t-elle intéressante économiquement pour les agriculteurs ? Sera-t-elle compatible avec le fonctionnement social de la ferme (temps et facilité de travail) ? Ou bien fonctionnera-t-elle tout simplement une fois sortie d’environnements contrôlés dont les paramètres sont généralement mieux maîtrisés que dans les parcelles d’agriculteurs aux conditions de sols et de climats variées ? Ces questionnements montrent à quel point il est nécessaire de placer les agriculteurs au cœur de la recherche agronomique. Ils sont en effet les premiers praticiens de l’agriculture et en ce sens de fins connaisseurs des contraintes et avantages de leurs terres.
Pour une transversalité de la recherche
En ce sens, le développement de la recherche participative constitue un bel exemple de collaboration entre les producteurs et les chercheurs. Ce type de recherche entend combiner les savoirs des premiers et des seconds pour mettre au point des innovations agronomiques répondant à des enjeux nouveaux et adaptés aux contraintes des exploitations agricoles. Cette méthode est par exemple utilisée au niveau national dans le cadre des fermes références Dephy visant à accompagner des agriculteurs mettant au point des pratiques innovantes. En Provence, les conditions de réussite et d’échec de la suppression du labour sont par exemple diagnostiquées grâce à des paysans expérimentateurs et un peu partout en France la remise en culture de variétés anciennes est testée par des agriculteurs fédérés au sein du Réseau Semences Paysannes. Au fond, considérer l’agriculteur comme un expérimentateur à part entière consiste à revenir à une définition complète de l’agronomie telle que définie par Michel Sebillotte, à savoir une science intégrant des dimensions biologiques (ce qui se passe dans le champ cultivé), économiques (les filières et la valorisation des productions) et sociales (les envies et contraintes de celui qui produit).
La démarche des paysans chercheurs mérite donc d’être reconnue car elle permet de faire avancer collectivement l’ensemble des agriculteurs. La prise de risque qui y est associée pourrait par exemple faire l’objet d’encouragements financiers dans le cadre de la PAC (Politique Agricole Commune) ou de l’ouverture d’un droit au crédit d’impôt recherche mise en place par l’Etat il y a quelques années. Encourager de la sorte ces démarches ne pourra que favoriser leur multiplication pour le plus grand bien des agriculteurs et de la société qui verra ainsi ses exigences plus facilement mises en œuvre.