De la chasse à la charrue, la folle histoire de la naissance de l’agriculture

Temps de lecture : 4 minutes
La domestication des plantes et des animaux résulte d’un long processus qui s’est déroulé sur plusieurs milliers d’années et indépendamment à différents endroits du globe. L’invention de l’agriculture a changé les Hommes comme rarement, de leur mode de vie à leur organisation sociale en passant par leur démographie. Retour sur un phénomène,  bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Village du néolithique avec grenier entérré (Pixabay)

Notre espèce est vieille de 200 000 ans, mais l’agriculture n’est jeune que de 11 000 ans. Une paille. La naissance de l’agriculture est à la fois récente dans l’histoire de l’Humanité (nous sommes paysans seulement depuis 500 générations) mais si ancienne qu’il n’en reste que peu de traces. Et cela laisse libre cours à de nombreuses interprétations et suppositions sur les causes et conditions de son apparition. Une chose est sûre : l’agriculture n’est pas apparue du jour au lendemain.  Un long processus de plusieurs milliers d’années nous a permis de passer d’une société de chasseurs-cueilleur à celle de cultivateurs. Une autre chose est sûre : contrairement à ce que beaucoup d’entre nous ont appris dans les livres d’école, l’agriculture n’est pas née uniquement dans le Croissant Fertile au Proche Orient. Aujourd’hui, les chercheurs nous apprennent que plusieurs lieux  ont été, indépendamment les uns des autres, des foyers de la domestication d’espèces végétales et animales.  Le blé, le lin, l’orge, le pois, la lentille, mais aussi le porc, le bœuf ou le mouton ont par exemple été domestiqués entre 9 500 et -8 500 avant J.-C en Syrie et en Palestine. Le porc aurait été également domestiqué à peu près en même temps en Papouasie Nouvelle-Guinée.  En Chine, c’est le riz, le soja ou encore le millet qui ont été domestiqués entre 8 500 et 6 000 avant J.-C. La pomme de terre, le quinoa, le lupin, le lama ou l’alpage ont quant à eux été domestiqués autour de 4 000 avant J.-C dans les Andes, tout comme le sorgho à la même époque en Afrique. Enfin,  c’est plus tardivement qu’en Amérique du Nord on retrouve des traces de domestication sur le tournesol et l’orge (4 000 à 1 800 avant J.-C).

 

De la cueillette à la culture, les primo-agriculteurs

Mais comment au juste les humains sont-ils passés de la cueillette à l’agriculture ? Les chercheurs travaillant sur ces questions font bien souvent le lien entre sédentarisation des populations, augmentation démographique, changements climatiques et domestication des espèces sauvages pour faire face à tous ces défis. Reste à savoir dans quel sens et dans quel ordre. Jean Renaud Garel, docteur en archéologie ayant réalisé une thèse sur la domestication des céréales au Proche-Orient, sur la base de compilations de nombreuses études sur le sujet, avance ainsi l’idée que les humains se sont d’abord sédentarisés dans des régions où la nourriture sauvage était abondante. La cueillette d’une gamme variée de céréales en grand nombre et sans doute également la possibilité de chasse aisée aurait donc permis à des groupes de chasseurs cueilleurs de bâtir les premiers villages. Les restes de villages du peuple des Natoufiens (12 000 à 9 500 avant J.-C) dans le sud de la Turquie, du Liban et de la Syrie en sont les premières traces. Leur régime alimentaire était essentiellement composé de céréales sauvages (dont le blé), de gibiers et de poissons pêchés. Cette sédentarisation a alors entraîné une indéniable augmentation de la fertilité. Bien installés, les villageois pouvaient ainsi aisément récolter les céréales sauvages, les stocker et même les transformer, en témoignent les traces des premiers silos, pilons et mortiers retrouvées. Les Natoufiens sont d’ailleurs souvent qualifiés de primo-agriculteurs en ce sens où leur technologie leur permettait déjà de récolter plus facilement les céréales sauvages et d’en faire des réserves pour s’émanciper de la contrainte climatique et ainsi s’assurer d’approvisionnements en nourriture toute l’année. Une dégradation du climat due à un accroissement de la sécheresse aurait alors ensuite induit une raréfaction des ressources alimentaires, notamment céréalières dont ils étaient devenus assez dépendants. Ce stress environnemental aurait alors incité les humains à conserver des semences pour les replanter et ne pas les consommer de suite. Avoir longuement co-existé avec des champs de céréales sauvages à proximité des villages a sans doute aidé à la compréhension de leur cycle naturel.

L’engrain (ou petit épeautre), une des premières céréales domestiquée par l’homme (un des ancêtres du blé). Source : Pixabay

L’invention de l’agriculture, « la pire erreur de l’humanité » ?

Petit à petit, l’être humain s’est donc mis à planter et récolter des céréales en imitant la nature. Par la même occasion, il a progressivement  sélectionné les espèces les plus pratiques à cultiver ou à récolter. C’est ainsi qu’au fil du temps, les grains des ancêtres des blés se sont par exemple mis à se détacher moins facilement de la tige pour pouvoir plus facilement être récoltés à maturité. De la multitude de céréales sauvages existantes, l’être humain n’a petit à petit que gardé celles dont les grains étaient les plus beaux ou qui ne présentaient pas d’enveloppe externe nécessitant un fastidieux décorticage.

Et si tout cela était une erreur ? Drôle de question me direz-vous… Pas tant que ça si l’on en juge la diminution constatée de l’espérance de vie et de la taille des humains après l’invention de l’agriculture. Un régime moins varié que celui des chasseurs cueilleur l’expliquerait, selon le géographe américain Jared Diamond. Ce dernier qualifie même l’invention de l’agriculture de « pire erreur de l’humanité », d’où proviendrait en partie notre organisation sociétale en classes inégalitaires. Là où les chasseurs cueilleurs accumulaient  peu de denrées, les agriculteurs se sont mis à stocker, et donc à posséder beaucoup de nourriture, entraînant alors une inégalité avec ceux qui n’en possédaient pas. L’analyse des squelettes des tombes grecques en 1 500 avant J.-C fournirait ainsi la preuve de l’existence d’une élite agricole au meilleur régime alimentaire et à la meilleure santé que des masses laborieuses. Reste qu’en apprenant petit à petit à mieux connaître et domestiquer son environnement, l’Homme a entamé une révolution qui lui a permis de s’étendre et se développer comme jamais, et au final augmenter sa qualité de vie. Relever le défi d’une juste répartition des ressources agricoles reste toujours une condition centrale pour la construction de relations pacifiées et égalitaires entre les humains.