Depuis 20 ans, le nombre d’agriculteurs n’a cessé de baisser. Dans un premier temps, ce phénomène a pu s’expliquer par le départ en retraite des « baby-boomers ». Mais désormais, « les départs précoces s’accélèrent, notamment pour des raisons économiques, explique François Purseigle, sociologue spécialiste du monde agricole, dans un entretien à La Croix (26/02/17). On compte désormais une seule installation pour deux départs ». Les enfants ne reprennent plus forcément la ferme héritée de leurs parents.
Mais parallèlement, on assiste à l’émergence d’un phénomène qui pourrait bien contrebalancer cette situation : en dix ans, la part des installations agricoles faisant suite à une reconversion professionnelle a largement progressé. Elle représente désormais le tiers des installations, contre moins du quart il y a dix ans. Dans de nombreux cas, il s’agit de personnes ne venant pas du milieu agricole et qui, après une première vie dans un tout autre domaine, décident de changer de voie pour devenir agriculteurs. On les appelle « néo-paysans » et ils pourraient bien apporter un nouveau souffle à certains territoires désertés, ainsi qu’un autre regard sur le métier.
Reconversion professionnelle
« J’ai été cuisinier, pâtissier, serveur, et j’ai grandi dans le 19e arrondissement de Paris. A 40 ans, j’ai décidé de me reconvertir dans l’agriculture », témoigne Stéphane Huet, maraîcher installé depuis juillet 2015 près de Nantes. Samedi 25 février, il est venu raconter son expérience lors des premières assises néo-paysannes qui se sont tenues à Paris. L’événement a rassemblé près de deux cent personnes et a permis de mettre en relation des néo-paysans installés et des personnes aspirants à se reconvertir, ainsi que des structures d’accompagnement et des chercheurs.
Comme une grande part des néo-paysans, Stéphane Huet a choisi de s’installer en Agriculture Biologique et de vendre ses produits en circuits courts. « Il y a un côté politique dans les installations néo-paysannes, une recherche de transformation du monde », explique François Léger, enseignant chercheur à AgroParisTech, qui a travaillé pendant toute sa carrière sur les agricultures alternatives. Vivre de façon pérenne tout en étant en accord avec la vision du monde que l’on veut défendre : c’est le challenge des néo-paysans. « S’engager dans des modes de productions écologiques est à la fois moins coûteux et a moins d’impact sur l’environnement, poursuit François Léger. Les installations néo-paysannes répondent à une aspiration écologique, mais aussi sociale : la plupart du temps, les projets s’ancrent dans une communauté ou dans un territoire ».
Un parcours du combattant
Mais si certains caressent le rêve de devenir paysans, la dure réalité de l’installation peut vite faire déchanter. Car on ne s’improvise pas agriculteur du jour au lendemain. Le métier est difficile, et l’installation est parfois un parcours du combattant si l’on n’en connaît pas les rouages. Il faut trouver le terrain, les financements, sans oublier les débouchés pour les produits. Et plus important encore : « il faut se former », insiste Stéphane Huet, qui a réalisé plusieurs stages et des formations avant de s’installer. La pénibilité du travail, surtout en maraîchage, est souvent sous-estimée. « La plupart des échecs que j’ai vu sont des personnes qui ne se sont pas formées et qui se sont tuées à la tâche », abonde François Léger.
Esprit collaboratif
Toujours est-il qu’une fois lancées et bien intégrées localement, les fermes néo-paysannes peuvent avoir une bonne rentabilité économique. C’est ce que montrent les travaux que François Léger a menés sur une quarantaine de micro-fermes en permaculture. Généralement, ces petites fermes cultivent plus d’espèces que les fermes standard et ont une meilleure utilisation des ressources. Elles sont ainsi plus résilientes face aux aléas climatiques, car capables de moduler leur offre de produits. « On observe aussi beaucoup d’entraide dans ces fermes, avec des voisins, des amis, des wwoofers, etc. », ajoute le chercheur.
Cet esprit de collaboration se retrouve aussi dans la façon qu’ont les néo-paysans de trouver des financements pour leur installation. Bien qu’il existe un cadre administratif leur permettant de recevoir des aides au démarrage de leur activité, ils sont de plus en plus nombreux à préférer chercher des financements alternatifs, via des prêts de leurs familles et amis, des entreprises privées ou grâce au financement participatif, aussi appelé crowdfunding. Un site de crowdfunding spécialement dédié aux projets agricoles, nommé Miimosa, a d’ailleurs récemment vu le jour. En deux ans, il a réussi à collecter 2,5 millions d’euros et 600 projets ont été financés.
A l’heure où le monde agricole navigue de crises en crises, où les banques rechignent à accorder des prêts aux agriculteurs et où ceux-ci sont parfois perçus comme des pollueurs, ces installations néo-paysannes redonnent un souffle d’espoir. Nonobstant les difficultés du métier, ces nouveaux agriculteurs bousculent les codes établis et construisent leur idéal de vie.