Jusqu’ici les choses étaient simples : d’un côté il y avait l’élevage intensif, l’industrie agroalimentaire, l’agrochimie… bref, le modèle agro-industriel. En face, les partisan.e.s de l’agriculture paysanne et biologique, les mouvements écologistes, végétariens ou véganes, faisaient plus ou moins cause commune en critiquant l’industrialisation de l’agriculture. Lorsque la Confédération Paysanne dénonçait les impacts sociaux de l’élevage industriel, Europe-Ecologie appelait à la diminution de la consommation de viande pour des raisons environnementales. De leur côté les mouvements végétariens, bien qu’opposés à l’élevage en général, critiquaient plus spécifiquement les formes les plus industrielles d’agriculture. L’Association Végétarienne de France faisait ainsi explicitement le lien entre modèle agricole productiviste, atteintes à l’environnement et élevage, dans ses propositions « Pour une transition à l’échelle européenne ». De leur côté, la Société Végane et l’association animaliste L214, faisaient respectivement référence à l’agriculture biocyclique végétalienne et à l’agriculture biovégétalienne, toutes deux présentées comme des variantes de l’agriculture bio.
Mais avec l’arrivée de la viande in vitro, les choses risquent de devenir un peu plus compliquées.
Produite par culture en laboratoire de cellules souches prélevées dans le muscle d’un bœuf ou d’une volaille, la viande in vitro se rapproche de plus en plus du marché. Le premier « steak » produit en laboratoire a été mangé en 2013 aux Pays-Bas, et la viande de laboratoire pourrait être autorisée prochainement aux Etats-Unis. Et les tensions entre opposant.e.s et partisan.e.s de cette nouvelle viande commencent à apparaître.
Les partisan.e.s de l’élevage paysan passent à l’offensive
Les hostilités viennent d’être ouvertes. D’abord par une passe d’armes dans les pages de la revue en ligne Terrestres, entre la chercheuse de l’INRA Jocelyne Porcher et Evelyne Vieille-Blanchard, présidente de l’Association Végétarienne de France, la deuxième réfutant l’accusation portée par la première : que les véganes seraient « les idiots utiles » des grandes entreprises investissant dans la viande in vitro. Ensuite au mois d’avril dernier, par l’intellectuel décroissant Paul Ariès, dans un billet de blog. Il y accuse L214 d’avoir reçu 1,3 millions de dollars de l’Open Philanthropy Project, une organisation caritative américaine alimentée par des entreprises américaines des secteurs de la finance et des nouvelles technologies. Pour Ariès, L214 se retrouve donc de fait « aux côtés des lobby financiers, de la malbouffe et de ce qu’il y a de pire dans l’industrie de la viande ». L’hostilité d’Ariès envers les mouvements animalistes est connue. On retrouve cette hostilité à la viande in vitro de longue date à la Confédération Paysanne, dont une adhérente dénonce « une culture bien plus mortifère et morbide que celle de l’éleveur qui assume le sacrifice de l’animal qu’il a élevé », ou chez Jocelyne Porcher qui voit dans la viande de laboratoire la continuation de l’industrialisation de l’élevage.
Si parmi les partis politiques écologistes et les organisations de l’agriculture biologique, peu de positions officielles ont été prises à ce jour, on les imagine mal défendre un mode de production aussi peu « naturel ». D’autant plus que les impacts environnementaux de la viande de laboratoire ne sont pas claires : une récente étude conclut ainsi que ce mode de production émet plus de gaz à effet de serre que l’élevage bovin.
Quelle position vont prendre les organisations véganes et animalistes ?
Du côté de l’Association Végétarienne de France, on semble également sceptique sur l’intérêt de cette viande artificielle. Dans un dossier publié à l’automne 2018, la présidente de l’association pointe les impacts écologiques peu clairs de ce mode de production, ainsi que le risque « d’entretenir une dépendance culturelle à la viande ».
En revanche, la majorité des organisations animalistes et véganes américaines y seraient favorables. L’organisation animaliste PETA avait proposé en 2008 un prix d’1 million de dollars pour toute personne arrivant à produire de la viande de synthèse. Mais, si la branche anglophone de l’organisation semble toujours en être une chaude partisane, le site internet de PETA France ne possède aucune référence à la viande in vitro. Et du côté de L214, si violemment attaquée par Paul Ariès, aucune page du site internet ne fait non plus référence à la viande in vitro.
Alors, allons-nous observer une reconfiguration politique avec l’émergence d’un mouvement végétarien et animaliste « technophile », partisan de la viande in vitro, opposé au mouvement écologiste et paysan ? Ou la viande in vitro sera-t-elle rejetée par la majorité des consommateurs européens, comme les OGM en leur temps ? Quelle que soit la réponse, la viande in vitro est probablement promise à un bel avenir dans les discussions politiques, autour du repas dominical !