En quoi l’agriculture de conservation est-elle, comme vous l’affirmez, une « troisième voie » entre bio et conventionnel ?
Frédéric Thomas : Au départ, l’agriculture bio part du principe que c’est la chimie de synthèse qui est l’élément le plus dangereux pour les écosystèmes et les agriculteurs. En agriculture de conservation, on considère que le travail du sol est une agression encore plus importante. L’agriculture de conservation a comme priorité la préservation des sols pour leur bon fonctionnement. Un sol n’a pas besoin d’être travaillé ou labouré pour supporter des plantes, comme le démontrent les forêts et les prairies. L’agriculture de conservation promeut l’utilisation de racines et de l’activité biologique pour organiser, structurer et recycler la fertilité des sols, et non pas celle de la charrue. Agriculture biologique et agriculture de conservation ne sont pas deux chemins opposés, mais parallèles. Dans les deux cas, l’agriculteur fait face aux mêmes difficultés que sont la gestion des mauvaises herbes et la fertilité des sols. Les moyens de gérer ces difficultés vont par contre être différents. Contrairement au bio, l’agriculture de conservation n’interdit ni la chimie pour contrôler les mauvaises herbes ou les ravageurs des cultures, ni les engrais de synthèse pour la fertilisation. On essaye par contre d’éliminer autant que possible le travail du sol, ce qui n’est pas nécessairement le cas en bio. Par contre chacune de ses deux agricultures se retrouve, avec sa sensibilité, et essaie de contribuer à bâtir des systèmes de productions agricoles durables.
Que répondez-vous à ceux qui critiquent la dépendance aux produits phytosanitaires de l’agriculture de conservation, en particulier au Glyphosate ?
F.T. : Premièrement, il faut être clair avec le grand public : il n’y a pas d’agriculture sans impact. Tout réside dans les choix et niveaux d’impacts avec une incidence globale la plus minime possible . A nous, agriculteurs et encadrants de l’agriculture, de construire des systèmes permettant d’avoir un minimum d’impact global. Il ne faut pas regarder les systèmes agronomiques par le petit bout de la lorgnette, et en critiquer certains sous prétexte qu’ils utilisent un peu de produits phytosanitaires ou de travail du sol. Il faut au contraire les appréhender dans leur globalité, au risque, sinon, de stopper toute dynamique de progression et développement des pratiques innovantes. Un système dans lequel il y a un maximum de couverts végétaux et un minimum de travail du sol avec une utilisation raisonnée de produits phytosanitaires apporte de nombreux services environnementaux.
regarder l’ensemble des bénéfices du système à longs termes pour ne pas casser la progression d’une forme d’agriculture qui maintient la fertilité de nos sols
Au final, le débat entre bio et agriculture de conservation est un choix de risques entre impact mécanique, par le labour, et impact chimique. Il faut tout de même savoir que le travail mécanique est très agressif pour l’écosystème qu’est le sol. J’ai fait un jour une démonstration un peu ardue à des agriculteurs en découpant des vers de terre de mon champ à la bêche. Ils étaient choqués, mais c’est pourtant l’effet d’une charrue et d’un bon nombre de matériels mécaniques de travail du sol ! L’agriculture de conservation a réussi à ce que, pour la première fois dans l’humanité, on produise de manière conséquente tout en préservant et en régénérant les sols. Alors, oui malheureusement, on y arrive en utilisant, pour le moment, des produits phytosanitaires de manière raisonnée. Mais j’invite chacun à regarder l’ensemble des bénéfices du système à longs termes pour ne pas casser la progression d’une forme d’agriculture qui maintient la fertilité de nos sols, comme peu d’autres formes d’agricultures sont capables de le faire.
Cette « troisième voie agricole » est-elle suffisamment reconnue par les décideurs politiques ?
F.T : Elle commence à être reconnue. Le fait qu’Emmanuel Macron ait cité l’agriculture de conservation des sols dans son discours du 25 janvier l’atteste. Au-delà de cet événement, la difficulté qu’a cette agriculture est qu’elle se situe dans le compromis entre bio et conventionnel. Un compromis n’est par définition jamais évident à défendre. Aujourd’hui, en termes de communication, il faut être « anti » ou « sans » : sans pesticide, sans gluten, sans colorant, sans hormone. Nous ne sommes pas une agriculture « anti » ou « sans ». Ce compromis que représente l’agriculture de conservation est nécessaire pour faire de l’agriculture raisonnée. L’agriculture de conservation est un principe de réalité qui a une grande ambition pour la fertilité des sols et donc la capacité à produire et se nourrir demain. Dans ses positions extrêmes, personne n’a vraiment tort, mais personne n’a complètement raison non plus. L’agriculture de conservation, par son statut de compromis, peut permettre d’entraîner toutes les formes d’agricultures vers du mieux pour le bien de nos sols.
Au final, quelles propositions faîtes-vous pour mieux faire reconnaître cette agriculture, tant par les pouvoirs publics que les consommateurs ?
F.T : En termes de communication, on entend trop de postures manichéennes faisant croire au grand public qu’il y aurait d’un côté une agriculture extra-bonne et qui aurait toute les vertus (l’agriculture biologique), et de l’autre côté une agriculture complètement mauvaise qui détruit toute la planète avec des agriculteurs complètement irresponsables (l’agriculture conventionnelle). Cette image est totalement destructrice pour les agricultrices et les agriculteurs qui essayent de bien faire leur métier. Ensuite, il faudrait mieux expliquer l’importance du sol comme ressource. C’est la condition première de la durabilité des systèmes agricoles. On peut faire autrement. Enfin, il faut montrer, et nous en sommes en train de travailler ce sujet, que les végétaux qui poussent sur des sols vivants ont intrinsèquement une meilleure qualité que ceux qui grandissent sur des sols morts.