Glyphosate : stop ou encore ?

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A quelques jours du verdict de la Commission Européenne à propos de la ré-autorisation de l'utilisation du glyphosate, le débat continue de s’amplifier. Si la dangerosité sanitaire supposée du produit peut constituer un argument de poids pour son interdiction, une dérogation pourrait se justifier pour les agriculteurs/trices en non-labour. Le temps de mettre sur pied des alternatives pour s’en passer définitivement.

Le débat sur le glyphosate fait rage. Il faut dire que le produit est actuellement l’herbicide le plus utilisé dans le monde, avec 800 000 tonnes en 2016, essentiellement par le biais d’OGM qui lui sont résistants. Ce n’est pas le cas en France où ces derniers sont interdits. Cette même année, ce ne sont néanmoins pas moins de 8 000 tonnes qui ont été épandues dans l’hexagone, soit 30% du total des herbicides utilisés. A noter que, dans leurs jardins, les particuliers en consomment annuellement près de 2 000 tonnes, mais son utilisation va leur être interdite au 1er janvier prochain. Dans le même temps, les études démontrant la toxicité du glyphosate se multiplient. Il y a deux ans, le Centre International de Recherche sur le Cancer (le Circ), rattaché à l’Organisation Mondiale de la Santé (l’OMS), a classé le produit comme « cancérogène probable ». L’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) n’a, quant à elle, pas suivi cet avis. Comment expliquer cette divergence ? Les résultats diffèrent selon que l’on étudie la molécule de glyphosate seule ou avec ses adjuvants, produits ajoutés pour rendre l’herbicide plus efficace et pénétrant dans les tissus de ses plantes cibles. Bon nombre d’observateurs s’accordent également à dire que l’EFSA, pour arriver à cette conclusion, s’est essentiellement basée sur des données confidentielles fournies par …Monsanto.. Les révélations des Monsanto Papers, publiées en France ces derniers jours par Le Monde jettent le trouble sur l’indépendance des expertises européennes sur le glyphosate. Sont entre autre révélés, l’existence d’ « auteurs fantômes », des scientifiques rédigeant des études en leur nom et rémunérés par Monsanto pour publier –parfois même copier-coller – des écrits en réalité concoctés par les équipes scientifiques du géant américain. Les soupçons de conflits d’intérêts viennent donc ternir un peu plus la réputation de l’herbicide.

 

Restaurer la confiance dans les institutions scientifiques

Dans le même temps, d’autres études prouvant la toxicité du glyphosate sont régulièrement publiées. La dernière en date, de l’équipe de recherche de Christian Vélo, généticien moléculaire à l’université Paris-Sud, a été réalisée sur un champignon du sol. Elle montre que, même à très faible dose, l’administration du glyphosate peut affecter le fonctionnement cellulaire d’un organisme vivant – le champignon en question – alors qu’aucun n’effet n’est visible à l’échelle de l’organisme entier.

Ces faits mettent en lumière deux réflexions. La première est la nécessité de prendre au sérieux les alertes de plus en plus nombreuses de la communauté scientifique sur la dangerosité du produit phare de Monsanto. La deuxième est celle de réaffirmer l’importance de bâtir une recherche publique indépendante, ayant les moyens de mener des études complètes hors de la pression des lobbies ou de l’opinion publique. Cette recherche publique est la condition centrale pour instaurer une véritable démocratie scientifique permettant d’éclairer les débats citoyens. Et de restaurer progressivement la confiance dans les institutions scientifiques dont le discrédit porté sur elles ne peut que nuire au débat.

 

Le labour c’est tabou, on en viendra tous à bout ?

Face aux menaces pesant sur la ré-autorisation du glyphosate, des agriculteurs sont descendus sur les Champs-Élysées le 22 septembre dernier, à l’appel de la FNSEA, premier syndicat agricole français. Etre soucieux de notre santé ne doit pas forcément empêcher d’entendre l’inquiétude des producteurs de perdre un outil de désherbage efficace. Les alternatives au glyphosate sont néanmoins nombreuses. Des produits de substitution ou des méthodes de désherbage mécanique éprouvées en agriculture biologique, comme le labour, peuvent permettre un contrôle efficace des mauvaises herbes. A moins de ne plus souhaiter labourer les sols. C’est le cas des agriculteurs engagés dans l’ « agriculture de conservation ». Ils ont revendu leur charrue pour éviter la déstructuration des sols qu’elle peut causer. En labourant, l’agriculteur enfouit des graines de mauvaises herbes en profondeur pour les empêcher de germer. Mais dans le même temps, cette action perturbe fortement la vie du sol, comme les vers de terre, les bactéries et les champignons, indispensables à une bonne fertilité. Pour retrouver une bonne fertilité et structure des sols, les agriculteurs engagés dans le non-labour visent à avoir un sol le plus vivant et couvert possible. Pour cela, ils mettent en place des couverts végétaux destinés à éviter les sols nus, fortement sensibles à l’érosion. Ces couverts végétaux permettent de restituer leur biomasse au sol. Ils peuvent provenir des résidus d’une culture après récolte, par exemple  les pailles de blé dont on a moissonné les épis par exemple, ou bien d’ espèces non récoltées, mais implantées uniquement dans le but de nourrir le sol. Les producteurs implanteront alors ces couverts végétaux entre deux cultures destinées à être récoltées, ou bien en association avec elles. On estime qu’en France plus de 30% des céréales sont cultivées sans labour, et plus de 4% sans aucun travail du sol y compris mécanique. La capacité de cette agriculture à stocker le carbone et à régénérer les sols est un argument de poids pour lui assurer son soutien. Les pratiques de non-labour sont en effet capables de stocker, sous des climats tempérés, entre 100 et 200 kg de carbone par hectare, là où le labour participe au réchauffement climatique en émettant du carbone.  Ce qui fait dire à Lucien Séguy chercheur au CIRAD spécialiste du semis-direct, qu’avec l’agriculture de conservation « le plus grand puits de carbone est entre nos mains ». Les terres sans labour et avec des couverts ont généralement de meilleurs taux de matière organique, retiennent mieux l’eau ou ont une moindre sensibilité à l’érosion.

Agriculteur détruisant un couvert végétal avec un rouleau (Source : Grégoire Agri)

Trouver progressivement les solutions pour le non-labour sans glyphosate

La réussite de ces techniques innovantes réside dans la bonne gestion de ce couvert sans recours au labour. Pour ne pas que le couvert concurrence la culture qu’il précède ou à laquelle il est associé, il doit en effet être détruit, ou tout du moins voir son développement freiné. La régulation de ces couverts peut par exemple se faire par des broyeurs, des rouleaux qui vont couper les tiges des végétaux ou des outils à dents qui vont couper leurs racines en pénétrant dans le sol. Mais parfois, ces techniques de destruction des couverts sans herbicide ne suffisent pas, car elles ne sont pas encore suffisamment optimisées. Nombre d’agriculteurs adeptes du non-labour utilisent alors en complément, du glyphosate dont ils arrivent à diminuer la dose au fil des années, par l’introduction de couverts végétaux variés et nombreux. Le glyphosate n’est alors pas épandu sur les récoltes vendues comme ce peut être le cas dans des OGM résistant au Round-Up, interdits en Europe mais autorisés outre-Atlantique par exemple. Pour nombre de ces agriculteurs, une suppression brutale du glyphosate serait synonyme de retour en arrière dans leurs pratiques. Le temps de mettre au point, agriculteurs et centres de recherche réunis, les méthodes permettant le non-labour sans glyphosate, pourquoi ne pas envisager une dérogation à l’interdiction de cet herbicide pour les agriculteurs en non-labour ? Histoire de ne pas les freiner dans l’innovation et d’encourager les autres vers des voies agro-écologiques durables. Un arrêt brutal risquerait d’entraîner un retour en arrière pour ces producteurs engagés dans des démarches vertueuses. Félix Nobila, céréalier dans le sud-ouest, mettait en garde le 3 octobre dernier dans le journal La Croix contre une interdiction brutale du glyphosate. Lui-même engagé en non-labour sans herbicide sur quelques cultures, il reconnaît qu’il n’est pas arrivé à ces résultats du jour au lendemain et considère qu’une « interdiction brutale du glyphosate serait une erreur ». Nombre d’agriculteurs et d’instituts techniques réfléchissent donc ensemble à tracer une voie d’avenir vers une agriculture sans labour et sans glyphosate. Si des agriculteurs pratiquent déjà le semis direct sans chimie, la sécurisation et la diffusion de leurs innovations mérite d’être soutenue. Tout comme la transition progressive de ceux ayant abandonné la charrue mais pas encore le glyphosate. La question du modèle agricole que nous souhaitons est donc ici au cœur des débats, tant pour nos sols que notre santé.