La découverte initiale de la molécule de glyphosate en 1950 est l’œuvre d’un chimiste suisse, Henri Martin, du laboratoire pharmaceutique Cilag. À ce stade, le glyphosate n’a encore aucune application pharmaceutique et ce n’est que vingt ans plus tard que son activité herbicide est révélée. Dans les années 1970, John Franz, chercheur chez Monsanto, commercialise cette matière active sous la forme d’un herbicide appelé « Roundup ». Le produit s’impose très vite comme le moyen de lutte principal contre les mauvaises herbes. Jusqu’au début des années 1960, le désherbage se fait surtout de manière mécanique (manuel ou via des outils accrochés aux tracteurs). L’apparition des premiers herbicides chimiques est probablement la plus grande révolution agricole du XXème siècle. Fait plutôt morbide : le développement des premiers pesticides de la famille des organophosphorés fut permise grâce à l’intensive recherche pour la mise au point de gaz de combats pendant la seconde guerre mondiale… Au niveau agricole, couplée à la création des premiers engrais minéraux de synthèse, l’utilisation de ces herbicides permet des effets surprenants sur les rendements ! Là résidait tout l’enjeu du problème : pouvoir produire plus par hectare de culture afin de nourrir une population qui semblait profiler une croissance exponentielle. Dès lors, le désherbage mécanique s’efface peu à peu au profit du désherbage chimique. Un pulvérisateur est accroché à l’arrière du tracteur et permet d’épandre le produit dans les champs. Actuellement, ce sont surtout les agriculteurs en Agriculture Biologique qui ont recours au désherbage mécanique, car l’utilisation d’herbicides chimiques ne leur est pas permise.
Le Roundup a été le premier herbicide à pouvoir être utilisé juste avant le semis et n’ayant a priori pas d’effet sur la culture suivante : l’herbicide est sensé détruire les adventices présentes sur la parcelle, mais pas la culture qui est implantée quelques jours plus tard. Cette particularité, véritable révolution dans le domaine de la gestion des mauvaises herbes avant semis, a clairement aidé au succès du produit. Le glyphosate est aussi utilisé pour les OGM agricoles. 85% de ces organismes génétiquement modifiés sont modifiés pour résister à cette matière active, ce qui permet de se débarrasser des mauvaises herbes invasives sans toucher à la culture principale (souvent le soja ou le coton). Depuis une dizaine d’années, Monsanto réalise une grosse partie de son chiffre d’affaires dans ces cultures dites « Roundup Ready » (qui tolèrent le Roundup). 65% du coton et 10 % du maïs sont cultivés aux États-Unis avec ce type de cultures.
Succès foudroyant
Pourquoi un produit tant critiqué se retrouve en tête des ventes d’herbicides à travers le monde ? La réponse est simple. Parce qu’il est produit en très grande quantité, il est commercialisé à bas coût et est très abordable comparativement à d’autres produits. De plus, son efficacité au niveau agricole et non agricole est indéniable car très peu d’espèces de mauvaises herbes résistent à son utilisation, même à des volumes relativement faibles. Le glyphosate empêche la fabrication des protéines de la plante, ce qui conduit rapidement à sa mort. Son effet est ainsi aussi rapide que dévastateur. En plus de cela, il a un effet non sélectif sur les plantes, c’est-à-dire qu’il va s’attaquer à toutes les espèces végétales mises à son contact (exceptées bien entendu celles qui ont été génétiquement modifiées pour y résister). Il n’est donc pas surprenant qu’outre les parcelles agricoles, le Roundup soit aussi le produit le plus utilisé pour le désherbage des cours et abords de ferme ou des tours de champs. De plus, la praticité d’application du produit a clairement contribué au développement du glyphosate, lorsque l’on connait la pénibilité d’un désherbage manuel ou mécanique. C’est aussi l’effet décapant du produit qui laisse les parcelles propres pour accueillir les cultures qui séduit…
Le Roundup en zone non agricole : des enjeux similaires
La plupart des jardiniers du dimanche le savent bien : le Roundup, ça marche ! La sphère agricole est souvent critiquée pour son utilisation du produit, mais il faudrait déjà que l’on arrête de nous en servir. Lorsque l’on a trouvé la solution la plus simple pour se débarrasser d’un problème, a-t-on vraiment envie de s’en séparer ? L’utilisation du Roundup est ainsi non négligeable en zones non-agricoles : parcs, jardins, et voies ferrées utilisent au total moins de 10 % du volume total des ventes, le reste étant alloué aux cultures. Aux États-Unis, en 1993, une quinzaine de villes acceptent de participer à un programme « d’embellissement », sponsorisé par Monsanto avec l’idée de développer une véritable phobie des mauvaises herbes. Depuis, plusieurs communes, notamment en France avec l’exemple de Rennes, ont décidé de se passer de l’utilisation de Roundup. La tendance actuelle, du moins sur le territoire français, est plutôt à l’abandon des herbicides chimiques dans les communes, au profit d’autres méthodes moins polluantes : paillage, désherbage thermique, désherbage manuel éventuel ou même… abandon du désherbage ! Une loi votée par l’Assemblée Nationale imposera d’ici 2016 l’interdiction totale de l’utilisation de pesticides par les collectivités publiques.
Les paysagistes utilisent également souvent ce désherbant, notamment dans la création d’un nouveau gazon. Pourrait-on imaginer, pour la prochaine coupe du monde de football, un gazon irrégulier et parsemé de chardons, de pissenlits ou de liseron, dans lesquels les joueurs seraient susceptibles de trébucher ? C’est bien cette idée du gazon anglais taillé au couteau sans la moindre imperfection qui maintient les produits comme le Roundup en tête de liste des produits les plus vendus.
Et sur la santé ?
La polémique est forte autour de la molécule de glyphosate, ainsi que des autres produits issus de la dégradation du Roundup dans le sol. Ses effets potentiels sur la santé humaine ou animale sont souvent notés, ainsi que ses effets sur les cours d’eau et nappes phréatiques, dans lesquelles on retrouve très fréquemment les molécules associées au produit. On se souvient notamment d’un épisode médiatique marquant au cours duquel le professeur Patrick Moore, lobbyiste reconnu de la société Monsanto, annonce avec conviction que le Roundup est un produit potable… avant d’en refuser catégoriquement un verre proposé par un journaliste. Pourtant, « il est difficile, compte tenu de la complexité des risques en fonction des multiples facteurs en jeu, de dresser une responsabilité particulière du Roundup qui soit supérieure à celle d’autres molécules utilisées dans les cultures », explique Frédéric Thomas, rédacteur de la revue agronomique TCS et connaissant bien les enjeux de la molécule. Il demeure tout de même un mouvement général du monde agricole mettant en garde contre l’utilisation abusive du produit, et notamment des suites de nombreuses études « indépendantes » – comprendre « non financées par les industriels » – dénonçant les risques liés à l’utilisation du produit. L’enjeu est alors de chercher à réduire son utilisation et de faire attention aux lieux et modes d’applications, pour réduire les quantités utilisées.
D’après Frédéric Thomas, « les études montrent qu’au fil des années nous avons réussi à réduire les quantités moyennes utilisées ». Cela a été rendu possible d’une part par l’optimisation des conditions d’application, mais également par un éveil progressif de la sphère agricole qui, même en l’absence de preuve tangible et irréfutable des effets néfastes de la molécule, a su prendre en compte les attentes des consommateurs, de plus en plus soucieux de la qualité des produits qu’ils consomment. Cette prise de conscience a aussi été ressentie par l’État, qui a interdit l’usage et la vente de nombreux pesticides au cours des quinze dernières années. Depuis mars 2015, le Centre International de Recherche sur le Cancer a classé le glyphosate « cancérogène probable pour l’humain », entretenant la polémique sur ce produit star des herbicides.