Les plantes n’ont pas la tête qui tourne

Temps de lecture : 3 minutes
Souvent agitées par le vent, les plantes restent debout. Comment font-elles ? Des chercheurs de l’INRA ont mis en évidence des mécanismes permettant aux plantes de garder l’équilibre.

Le vent est un des (nombreux) ennemis naturels de l’agriculteur. En cas de trop fortes tempêtes ou orages, les plantes peuvent verser, c’est-à-dire se coucher par terre, pour devenir non récoltables au final. Les pertes mondiales de rendement de céréales sont estimées à 10% à cause des tempêtes. Malgré cela, les plantes ont une capacité assez remarquable à tenir debout, bien plus que nous ! Balloté par le vent, le roseau plie mais ne rompt pas. Charles et Francis Darwin avaient déjà mis en évidence en leur temps la capacité des plantes à croître dans une direction donnée. Ainsi, une plante poussera toujours vers la lumière (phototropisme) ou selon la gravité (gravitropisme), faisant que ses racines poussent vers le bas et que sa germination se fait vers le haut. Obligez une plante à pousser à l’horizontal et elle finira toujours par aller vers le haut.

 

Les plantes ont aussi une oreille interne

Pour bien comprendre le fonctionnement des mécanismes d’équilibre des plantes, arrêtons-nous un instant sur le nôtre, régi par l’oreille interne. Dans celle-ci, notre équilibre se fait par un système dit otholitique, c’est à dire un ensemble de petits cailloux pris dans un gel sensible. La déformation des cils, due à l’action de la gravité sur les cailloux, permet à notre oreille interne de repérer la verticale. Cependant, lorsque nous sommes par exemple dans un manège, nous perdons le sens de la gravité. Notre oreille interne est alors bien incapable de distinguer l’accélération de la gravité d’autres forces, comme la force centrifuge par exemple. Les plantes ont également un équivalent de l’oreille interne : les statocytes. Les statocytes sont des cellules disposées tout au long de la tige de la plante qui hébergent en leur sein des petits grains d’amidon appelés statolithes. Jusqu’à présent, les recherches avaient mis en évidence un fonctionnement similaire des satocytes à celui de l’oreille interne : la sédimentation des statolithes exerce une pression sur la paroi des statocytes et permet à la plante de repérer la gravité. Cette idée suggère que les plantes ont un sens de l’équilibre comparable à celui des humains et donc qu’elles ne sont pas capables de distinguer la gravité d’une autre force, le vent par exemple. La pression s’exerçant sur les statolithes serait la résultante de toutes les forces de manière indifférenciée.

Statocyte
Statocyte contenant des statolithes (source Wikipédia)

 

Un sens de l’équilibre plus aigu que les humains ?

Une autre hypothèse suggère que ce n’est pas la pression exercée par les statolithes qui permet aux plantes de « sentir » la gravité, mais des systèmes de capteurs qui détectent la position des petits grains d’amidon. Cette idée provient de récentes recherches menées conjointement par l’INRA, le CNRS et l’Université Blaise Pascal. Les chercheurs ont constitué un manège à plantes, composé de centrifugeuses à deux axes de rotation,  comme il en existe pour l’entrainement des astronautes. Ils ont alors soumis aux forces centrifuges des centaines de plantes, dont de nombreuses cultivées comme le blé, la lentille ou le tournesol. Ils ont étudié, pendant de longues durées, la croissance des plantes dans ces conditions, avec un angle différent par rapport à la gravité effective. L’histoire ne dit pas si les plantes ont pris leur pied (ou plutôt leurs racines) dans le manège, mais elle montre en revanche qu’elles ont réussi à croître en se redressant, de manière indépendante à l’intensité de la force centrifuge qu’elles subissaient. Les plantes arrivent donc à sentir la verticalité indépendamment des autres forces auxquelles elles sont soumises, et ce de manière permanente. Le positionnement des statolithes, et non uniquement la pression qu’ils exercent, permettraient aux plantes de repérer leur verticalité. Même secouées par le vent, les plantes seraient donc capables de garder leur verticalité. Contrairement à nous, elles n’auraient donc pas la tête qui tourne.

 

Ces récentes découvertes des mécanismes d’équilibre des plantes pourront avoir des applications très importantes dans les décennies à venir en particulier dans l’amélioration variétale pour concevoir des cultures moins sensibles à la verse. Si cette piste ne doit pas faire oublier que la verse des plantes peut aussi être due à d’autres facteurs agricoles (trop d’azote par exemple), voilà peut-être tout de même une des nombreuses pistes d’avenir pour la sécurisation des rendements face aux aléas climatiques.