Rares sont les débats techniques et scientifiques à être partagés par les citoyens. Trop souvent, ils restent des débats de spécialistes inaccessibles pour le grand public. On ne peut pas en dire autant de celui des OGM qui occupe une place singulière dans le paysage politico-agricole français. Les questionnements éthiques, économiques, environnementaux et sanitaires sur cette technique moderne de sélection végétale sont peu à peu sortis des laboratoires pour se retrouver sur la place publique au milieu des années 1990.
Au-delà des affirmations tranchées et des prises de position catégoriques, il convient de repréciser les grandes questions qui nourrissent le débat sur le développement des OGM :
- La consommation d’OGM a-t-elle un effet sur la santé humaine ? De nombreuses études contradictoires ont jusqu’ici été publiées, principalement effectuées sur des rats de laboratoire.
- Les OGM sont-ils une menace pour l’environnement ? A cette question, les interrogations sont multiples, lorsque par exemple ces derniers contiennent une substance insecticide ou qu’ils sont résistants à un herbicide pouvant ainsi favoriser l’utilisation accrue de ce dernier. Des risques de croisements entre plantes OGM et plantes non OGM sont également pointés du doigt.
- Les OGM sont-ils un moyen de manipuler le vivant ? En introduisant des gênes extérieurs dans le génome d’une plante, certains affirment que les OGM sont « contre-nature », la nature n’étant pour eux pas manipulable.
- Les OGM rendent –ils les paysans dépendants des firmes de sélection ? Du fait que les entreprises qui commercialisent des OGM sont généralement propriétaires de leurs semences (système de brevets), les agriculteurs doivent en effet les ressemer et donc les repayer chaque année.
L’objectif de cet article n’est pas de dresser un état des connaissances sur ces questions, mais de s’interroger sur la nature du débat sociétal sur les OGM.
Un débat sociétal
Les questions environnementales, sanitaires, éthiques et économiques soulevées par ce débat montrent que la question des OGM dépasse largement le monde de l’agriculture. Comme tout débat technique porté sur la place publique il doit être vulgarisé avec le risque, en étant simplifié et caricaturé, de perdre en qualité. La question, souvent posée d’être pour ou contre les OGM, peut apparaître trop simpliste pour faire avancer un débat exigeant et complexe.
En effet, sur les points du débat évoqués précédemment, il est difficile de généraliser les réponses à l’ensemble des OGM tant ces derniers peuvent être différents. Marion Guillou, ancienne présidente de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), rappelle qu’il « faut regarder la technologie OGM comme ce qu’elle est : une technologie d’obtention d’un produit, puis examiner produit par produit ». Ainsi, chaque OGM pourra avoir des conséquences sur l’environnement ou la santé différentes en fonction de ce qu’il est. Une étude publiée en 2012 par Environnemental Sciences Europe montre ainsi que l’utilisation de cultures Bt (résistantes à des insectes ravageurs) aux États-Unis a permis de diminuer de 56 000 tonnes l’utilisation d’insecticides entre 1996 et 2001, quand les cultures Round Up ready (résistantes à l’herbicide Round Up) ont causé dans le même temps une augmentation de 183 000 tonnes de l’usage des herbicides. De la même manière, quelle pertinence donner aux affirmations selon lesquelles les OGM sont LA solution pour résoudre les problèmes de souveraineté alimentaire dans le monde ? Comment faire avancer le débat sans l’appauvrir ?
Quelle place pour la recherche publique ?
La question qui est posée via ce débat est in fine celle de l’encadrement, du contrôle et de la surveillance par la société des techniques scientifiques. En se désengageant peu à peu de la thématique des OGM sous la pression de l’opinion, la recherche publique a laissé le champ libre à des études réalisées par les concepteurs d’OGM eux-mêmes. Or si la recherche publique n’est pas exempte de critiques, elle sera toujours plus à même de juger des effets positifs et négatifs d’une technique que ceux qui la mettent sur le marché.
« Faut-il abandonner toute possibilité d’expérimentations contrôlées sur des innovations technologiques pouvant constituer une partie des réponses à inventer, alors qu’elles sont pourtant indispensables pour qualifier leur impact et les risques associés ?» s’interrogeait dans une tribune du journal Le Monde un collectif de chercheurs de divers horizons en septembre 2012. Ce n’est sans doute pas aux chercheurs de prendre une décision, mais c’est à eux d’informer la société et les politiques afin que des décisions éclairées soient prises. La maîtrise de ce débat public et donc l’apprentissage d’une « démocratie technique » passe-t-elle par des nouvelles formes d’organisation et de rapprochement entre le milieu scientifique et la société civile ? C’est ce que suggèrent Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe dans Agir dans un monde incertain, essais sur la démocratie technique. Dans leur esprit, la démocratie technique vise à évaluer selon un modèle démocratique les intérêts et les inconvénients d’une technique avant de la généraliser. Michel Griffon, Directeur général adjoint de l’ANR (Agence Nationale de Recherche) préconise quant à lui l’instauration de conférences citoyennes pour les questions scientifiques et éthiques sur le modèle de l’intrusion des citoyens sur les décisions de justice. « Au fond on pourrait dire sur cette question des OGM comme sur toutes les grandes questions qui divisent la société dans le cadre de la démocratie, qu’il faudrait créer un parti du débat. Un parti qui n’ait aucune envie de participer au pouvoir et dont l’objet serait simplement de favoriser le débat et de créer plus de démocratie, et non de l’affrontement » suggère même Michel Griffon. A coup sûr, il aurait de nombreux adhérents.