Élevage et environnement : un impact écologique à nuancer

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L’élevage est très souvent pointé du doigt pour ses méfaits environnementaux. Pourtant, si l’on regarde les données scientifiques de près, le discours ambiant mérite d’être modéré.
L’élevage, un pilier de la fertilité des systèmes en agriculture naturelle. (Photo : Pixabay)

Faut-il blâmer l’élevage pour son impact environnemental ? La question mérite d’être précisée. Car mettre dans le même sac l’élevage extensif (avec des animaux nourris à l’herbe) et l’élevage intensif (avec des animaux élevés hors-sol et nourris exclusivement de maïs ou de soja) n’a pas de sens. Dans le premier cas, les animaux passent l’essentiel de leur temps à pâturer dans des prairies, qui sont dimportants puits de carbone. Ce type d’élevage contribue ainsi à atténuer la concentration atmosphérique du dioxyde de carbone, un gaz responsable du réchauffement climatique. En climat tempéré, on estime en effet que les trente premiers centimètres de sol d’une prairie stockent environ 65 tonnes de carbone à l’hectare, contre 40 tonnes pour un sol agricole sur lequel des cultures se succèdent. La raison ? Grâce à la photosynthèse, les plantes sont capables d’absorber du carbone atmosphérique pour constituer leurs tissus végétaux. Et plus les plantes restent longtemps en place, ce qui est le cas des prairies, plus leur fonction de « puits de carbone » est visible. Dans les élevages extensifs, les prairies permettent ainsi de compenser entre 30 et 80% des émissions de méthane des ruminants. Parce que ce sont bien les rots et les pets, chargés en méthane, qui sont responsables en grande partie de l’impact environnemental des élevages ! Dans les systèmes intensifs, l’absence de prairies ne permet donc pas de réduire l’impact carbone de l’élevage.

Concurrence pour l’eau et les surfaces

Un autre reproche couramment fait à l’élevage est sa consommation importante en eau. Les estimations actuelles se situent généralement autour de 15 000 litres d’eau pour produire un kilo de viande de bœuf. Un chiffre vertigineux comparé aux 600 litres nécessaires pour produire un kilo de blé. Là encore, ces chiffres méritent d’être précisés. D’après l’INRA, il faut distinguer les différentes provenances et usages de l’eau. Dans le cadre d’élevages extensifs avec des prairies, on estime en moyenne que 95 % de l’eau utilisée pour produire un kilo de bœuf provient de la pluie, qui tombe que les animaux soient en train de pâturer ou non. Elle est d’abord captée dans les sols et ensuite relâchée par les plantes, rejoignant ainsi le cycle naturel de l’eau. Dans ce cas, la consommation d’eau pour produire un kilo de viande de bœuf est réévaluée à environ 550 à 700 litres, le reste repartant dans le cycle naturel de l’eau. Cela étant dit, il est indéniable que ces 700 litres n’ont pas le même impact que l’on soit en région aride ou humide. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si historiquement, dans les régions sèches, on trouve d’avantages de troupeaux de brebis ou de chèvres, moins consommateurs d’eau que les bœufs.

Le développement d’élevages intensifs, où les animaux n’ont pas accès aux prairies dans des zones où la ressource en eau est limitée, est le cas le plus problématique. L’irrigation alors nécessaire pour produire le maïs ou le soja et la consommation importante d’eau du troupeau, qu’il faut amener sur place, pose alors de vrais problèmes environnementaux et sociaux.

De la même manière, le chiffre régulièrement avancé de 15 à 20 kilos de céréales nécessaires pour produire un kilo de viande peut être largement nuancé. Dans le cas d’animaux pâturant, les prairies peuvent se situer dans des endroits où les cultures céréalières sont généralement compliquées à installer, comme les zones montagneuses par exemple. Rien à voir donc, avec des parcs d’engraissement qui consistent effectivement à nourrir les animaux exclusivement avec de la nourriture céréalière, entrant directement en concurrence avec les surfaces pour l’alimentation humaine. Reste que la présence d’élevages extensifs, qui nécessitent également des surfaces de pâturage importantes, dans des zones de plaines où les cultures pour l’alimentation humaine sont possibles, peut également poser question sur la pression sur la ressource foncière. Ce débat ne peut donc être dissocié de celui des niveaux de consommation de viande et de l’organisation territoriale permettant d’éviter une trop forte spécialisation de territoires vers un seul système agricole.

Ferme intensive en Amérique du Sud (Image : Daniel Beltra, Greenpeace)

Reconsidérer les effets de l’élevage selon leur diversité

Les impacts environnementaux de l’élevage sont donc très dépendants de la manière dont sont conduits ces derniers. Dans une expertise collective, l’INRA a élaboré une grille d’analyse de l’impact environnemental de l’élevage selon leur diversité à l’échelle européenne. Les territoires « en tension » sont ceux dans lesquels il existe une forte densité d’animaux et peu de surfaces herbagées. Ils représentent 11 % de la surface agricole européenne et se situent par exemple en Bretagne, en Pays de la Loire, dans le Nord-Est de l’Allemagne ou en Catalogne. A l’inverse, on distingue des zones herbagées à faible ou moyenne densité animale, qui sont généralement des zones montagneuses dans lesquelles d’autres productions agricoles seraient périlleuses. On peut par exemple citer les Pyrénées, le Massif Central, le Pays de Galles, les Carpates… Ces territoires représentent environ 20 % de la surface agricole européenne.

Enfin, dans de nombreuses régions, élevages et cultures cohabitent en bonne harmonie. La présence des élevages, si ces derniers restent de taille raisonnable, permet de maintenir une diversité de cultures, prairies en tête, grâce notamment aux besoins en alimentation animale. Par ailleurs, les déjections animales peuvent être utilisées pour fertiliser les cultures et ainsi diminuer le recours aux engrais chimiques et contribuer à maintenir la fertilité des sols agricoles. Cette collaboration entre élevages et cultures nécessite d’être équilibrée à l’échelle des territoires concernés pour éviter leur spécialisation. L’exemple de la Bretagne nous enseigne les effets environnementaux négatifs d’une surconcentration animale sur un territoire donné. A l’inverse, la disparition progressive de l’élevage dans d’immenses plaines céréalières a généralement abouti à une intensification de la production du fait de la mise en place de monocultures. D’une diversité de débouchés possibles du fait de la présence d’élevages, on est passé à une simplification des rotations, nécessitant un recours accru à des herbicides ou des engrais chimiques.

De la quantité à la qualité

L’analyse fine des élevages dans leur diversité et leur complexité ne peut que contribuer à orienter les politiques publiques sur le développement d’élevages à l’intensivité maîtrisée afin d’en diminuer les impacts environnementaux. La diminution de la consommation de viande constatée en France et dans nombre de pays occidentaux peut être un formidable moyen pour encourager le développement d’élevages plus extensifs, intégrés à leurs territoires et orientés vers la qualité. Comme cela a été réalisé dans le vin, la consommation pourrait bien, tout en diminuant, s’orienter vers une exigence accrue de qualité. En clair, consommer moins, mais mieux. Une grande partie de la production française de viande est déjà orientée vers la qualité, au regard du nombre important de labels existants (Bio, Appellation d’Origine Protégée, Label Rouge…). Cette démarche est aussi un moyen de garantir une meilleure rémunération aux producteurs et de prévenir les effets sur la santé d’une surconsommation de viande. Le bonheur des éleveurs et des consommateurs se situe certainement en partie dans le pré !