D’où viennent les adventices ?

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Les adventices sont suffisamment adaptées aux champs cultivés pour pouvoir rendre la vie difficile aux agriculteurs. Mais où pouvaient-elles vivre avant l’apparition de l’agriculture ?
Les adventices, ou mauvaises herbes des cultures, présentent des caractéristiques originales parmi les plantes.

Les adventices, ou mauvaises herbes des cultures, présentent des caractéristiques originales parmi les plantes : capables de pousser très vite quand l’azote et le phosphore sont disponibles en grande quantités, elles sont incapables de survivre à la compétition si elles sont confrontées à des plantes d’origine prairiale ou forestière ; capables d’acquérir très vite des ressources, elles les perdent aussi vite, au profit des herbivores contre lesquels elles ont peu de défense ; capables de produire un grand nombre de graines, chacune n’a qu’une probabilité de survie très faible…

Ces caractéristiques leurs permettent d’obtenir un grand succès dans les milieux cultivés car elles sont capables de pousser très vite entre le semis et la récolte de la culture, avant de se faire détruire par la moisson. Mais où se trouvaient donc les espèces d’adventices avant l’apparition des champs cultivés, un phénomène extrêmement récent à l’échelle de l’histoire des plantes ?

Originaires des milieux riches et perturbés

L’écologue britannique Philip Grime a proposé, dans les années 1970, de classer les plantes en trois stratégies écologiques en fonction des caractéristiques du milieu auquel elles sont adaptées. Les caractéristiques des adventices correspondent à la stratégie rudérale : celle des plantes des milieux riches et fréquemment perturbés. Cela correspond bien à la description des agroécosystèmes, dont les sols sont enrichis par les fertilisants et dont la végétation est fréquemment détruite par le travail du sol. Mais où trouve-ton des écosystèmes similaires dans la nature ?

Ce qui se rapproche le plus d’un milieu rudéral est constitué par les mares éphémères, les plaines inondables et les bords de rivières, où la végétation est régulièrement détruite par les crues et où le sol est enrichi par les sédiments déposés. Une bonne partie de nos espèces actuelles d’adventices vivaient donc probablement au bord des fleuves et des rivières, il y 10 000 ans, lorsque l’agriculture a été inventée au Proche-Orient.

D’ailleurs, d’après les archéologues, les premiers sols mis en culture au Proche-Orient étaient justement ces zones régulièrement dévastées par les crues (un peu à l’image de l’agriculture égyptienne basée sur les crues du Nil), car il n’y avait pas de travail de défrichage à faire. Les adventices seraient ainsi présentes depuis le début de l’agriculture, puisque les premières cultures auraient été implantées dans leur habitat. Parmi ces adventices des origines, on trouve le chénopode blanc, le coquelicot, les silènes ou encore les fumeterres.

Coquelicot, chénopode blanc, silène coloré et morelle noire, des adventices d’origine moyen-orientale

Une histoire européenne

A mesure que l’agriculture se diffusait en Europe, en remontant la vallée du Danube, ou le long de la côte méditerranéenne, les adventices se sont propagées avec les cultures. Arrivées depuis l’antiquité, elles sont nommées archéophytes (littéralement, « plantes anciennes »). N’existant pas à l’état naturel en France, une partie d’entre elles est aujourd’hui considérée comme menacée, car incapables de s’adapter aux nouvelles pratiques agricoles et aux herbicides.

Mais une fois arrivées en Europe, les champs ont pu également constituer un environnement propice pour des plantes européennes qui vivaient précédemment dans d’autres milieux ouverts : bords de cours d’eau mais aussi prairies naturelles et lisière de forêt. Elles sont aujourd’hui parfois plus abondantes dans les champs que dans leur milieu d’origine. Parmi celles-ci, on peut citer l’ortie dioïque, la renouée à feuilles d’oseille ou le plantain majeur. Ces plantes natives d’Europe sont souvent des plantes vivaces, probablement car les champs étaient abandonnés fréquemment pendant les premiers millénaires de l’agriculture européenne, favorisant les plantes capables de survivre dans la friche qui s’installait.

Des espèces qui n’existaient pas dans la nature et des cultures qui s’ensauvagent

Mais il est parfois impossible de retrouver à l’état sauvage l’ancêtre de nos adventices actuelles, que ce soit au Proche-Orient ou dans d’autres régions du monde. Il est possible que leur ancêtre se soit éteint, par exemple parce que le Proche-Orient a connu de grandes modifications climatiques. Il est possible aussi que l’espèce d’adventice que nous observons ait trop évolué pour que nous soyons capables d’identifier son ancêtre.

Néanmoins, avec le séquençage du génome, nous pouvons maintenant mettre en évidence un autre scenario. Les champs cultivés ont constitué un nouvel écosystème où des espèces de plantes auparavant séparées ont pu se rencontrer. Dans certains cas ces espèces ont été capables de s’hybrider entre elles pour donner naissance à de toutes nouvelles espèces. Ainsi, le panic pied-de-coq, une graminée très commune dans les champs de maïs français, est issu du croisement entre le panic oryzicole, adventice du riz, et une autre graminée, inconnue.

Parfois, c’est une plante sauvage et une culture qui s’hybrident. C’est fréquemment le cas en Europe, entre les betteraves cultivées et les betteraves sauvages. Ces betteraves hybrides cumulent à la fois des caractères de plante cultivée (ici, être capable de s’autoféconder) et de plante sauvage (par exemple, fleurir dès la première année de culture) qui sont favorables à leur survie comme adventice dans les champs. Si en plus le croisement se fait dans un champ où est produite de la semence de betterave, alors l’adventice est vendue aux agriculteurs pour qu’ils la sèment !

Enfin, il arrive que des plantes cultivées reprennent leur indépendance et deviennent des adventices dans d’autres cultures. Le cas est peu fréquent, et concerne peut-être une dizaine d’espèces à l’échelle mondiale. On peut citer le cas d’une variété de de seigle qui, en Californie, est devenue une adventice du blé. Une situation assez ironique, car le seigle a lui-même été domestiqué à partir d’une adventice des céréales !

Amaranthe réfléchie, datura officinal, véronique de Perse et millet commun, des adventices d’Amérique ou d’Asie, arrivées en France dans les derniers siècles

 

Une histoire qui continue

Après l’an 1500, et les grands voyages d’exploration, qui verront la diffusion des cultures américaines (maïs, pomme de terre, patate douce…), des adventices originaires des centres de domestication américains rejoindront l’Europe. On les appelle des néophytes (littéralement, plantes nouvelles). En France aujourd’hui, elles représentent environ 10% des adventices Aujourd’hui, ce mouvement est plus intense que jamais, avec l’augmentation des échanges commerciaux intercontinentaux. A l’inverse, les adventices européennes se diffuseront largement dans les zones de colonisation européenne, Amériques, Australie, Nouvelle-Zélande… Elles faciliteront même parfois la colonisation européenne, en éliminant certaines plantes autochtones et en permettant l’établissement d’agroécosystèmes semblables à ceux de l’Europe.

De plus, de nouvelles espèces continuent de passer du milieu sauvage au milieu cultivé, soit à la faveur d’un changement des pratiques agricoles, soit à la faveur d’évolution des plantes sauvages. C’est le cas de l’amarante rugueuse, devenue une adventice majeure aux Etats-Unis au-cours du 20ème siècle, après que son écosystème, les plaines inondables du Mississipi, aient été converti en champs cultivés, et après que des résistances aux herbicides soient apparues au sein de l’espèce.

A ce titre, le développement du non-labour en Europe crée probablement des opportunités nouvelles pour des espèces d’adventices encore inconnues. Affaire à suivre !