En ce début de printemps, l’air est encore frais dans la campagne gersoise mais sous les serres du Jardin des Arbolets, le moindre rayon de soleil fait rapidement monter la température. Philippine Gin et Benjamin Benquet finissent de mettre en terre leurs plants de salades avant de partir déjeuner. Les deux maraîchers produisent des légumes bio sur leur ferme située à Montégut, près d’Auch (Gers). Ni l’un ni l’autre n’a de parent agriculteur, mais c’est pourtant vers cette voie qu’ils ont choisi de se reconvertir à l’approche de la trentaine, après avoir exercé différents métiers.
Devenir agriculteur ? « Quand tu n’as pas de famille dans l’agriculture, c’est une piste qui paraît inenvisageable. Le plus difficile est de trouver des terres : d’une part, ça coûte cher, d’autre part, on n’est pas forcément au courant des ventes puisqu’on ne gravite pas dans le milieu », témoigne Philippine, qui a pourtant un diplôme d’ingénieur agronome en poche. Après ses études, elle qui voulait travailler au contact des agriculteurs bio se retrouve à enchaîner des CDD « dénués de sens » pour des organismes agricoles publics. Benjamin, de son côté, était professeur de judo à Toulouse. « Mes grands-parents étaient maraîchers dans le Gers, mais je ne les ai jamais connus en activité et je n’ai pas grandi à la ferme », relate-t-il. C’est en voulant revenir vivre dans le Gers avec sa compagne qu’il envisage la voie de l’agriculture. « Le maraîchage était la piste qui m’attirait le plus, il y a moins d’astreinte qu’en élevage et une possibilité d’auto-consommation importante », explique-t-il.
Du rêve à la réalité
Le chemin des deux futurs associés se croise par le biais d’un ami commun. La mère de celui-ci, agricultrice et bientôt retraitée, est disposée à vendre une partie de ses terres à des jeunes souhaitant s’installer. Pour Philippine et Benjamin, ce qui n’était qu’une envie se transforme alors en réelle opportunité. Mais ni l’un ni l’autre n’ayant suffisamment d’expérience sur le terrain, leur priorité était d’abord de se former. « C’est important de prendre le temps de travailler dans plusieurs fermes, pour voir des systèmes de maraîchage différents », indique Benjamin. « Il faut faire au moins deux saisons dans deux fermes différentes avant de s’installer », abonde Philippine. Si l’un et l’autre insistent sur l’importance de la formation, c’est que les échecs ne sont pas rares chez les néo-paysans, pour qui la part d’idéalisme occulte parfois la réalité du travail de maraîcher.
« Entre le moment où nous avons eu l’idée de nous associer et la création du Gaec, il s’est passé… quatre ans », fait savoir Philippine. Des années pendant lesquelles les futurs associés ont, chacun de leur côté, construit leur parcours qui allait les mener à l’installation. Stage, salariat, bénévolat, formations professionnelles… les opportunités sont multiples pour qui souhaite se lancer dans l’agriculture.
Le terrain pour se faire les mains
« Pour mettre un premier pied dans le milieu, je conseille le Wwoofing », préconise Philippine. Le principe permet à tout un chacun d’apprendre et de découvrir l’agriculture sur une ferme bio, en participant aux travaux et en étant logé et nourri sur place. « Pour qui ne connait rien à l’agriculture, cela permet de découvrir la campagne et de tester plusieurs types de fermes, poursuit Philippine, qui a elle-même expérimenté plusieurs séjours de ce type. Par contre, il faut impérativement ensuite faire des vraies périodes de travail en exploitation agricole pour acquérir de l’expérience ».
De son côté, Benjamin s’est essayé au métier en décrochant un contrat d’ouvrier maraîcher de six mois pour les Jardins de Cocagne, un réseau de fermes biologiques à vocation d’insertion professionnelle, accueillant des personnes en situation précaire. « Cette expérience m’a conforté dans mon envie d’installation en maraîchage, témoigne-t-il. En revanche, mon travail sur place était purement opérationnel, sans réflexion sur les calendriers de culture par exemple ». C’est au cours de stages professionnalisant que Philippine et Benjamin vont réellement apprendre toutes les ficelles du métier. « J’ai travaillé pendant six mois chez une maraîchère en région Toulousaine, quelqu’un de très pédagogue et qui me donnait des responsabilités au fur et à mesure, raconte Philippine. Je notais tout ce que je faisais. À la fin du stage, je l’ai remplacée pendant trois semaines au mois d’août, quand elle est partie en vacances. Un moment vraiment formateur, car j’ai dû tout gérer seule : les cultures, l’irrigation, la vente sur les marchés, etc. »
Retour sur les bancs de l’école
Outre l’expérience pratique, la formation théorique doit aussi être prise en compte. Car avoir un diplôme permet aux agriculteurs de prétendre à des aides financières qui ne sont pas négligeables pour démarrer une activité. « Le montant que nous avons perçu représente environ 60% du coût de nos investissements sur les quatre premières années », indique Benjamin, qui s’est inscrit à une formation d’un an pour passer le BPREA, le Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole. Pour obtenir ces aides, réservées aux agriculteurs de moins de 40 ans, ceux-ci doivent présenter un projet viable d’un point de vue économique, permettant de dégager au moins un Smic par personne au bout de quatre ans.
Pour Philippine et Benjamin, l’objectif de leur installation était clair dès le début : faire en sorte que la ferme soit rentable et se dégager du temps pour soi. « Nous avons réfléchi à tout ce qui pouvait nous simplifier la vie, nous faire gagner en confort et en autonomie », précise Philippine. Irrigation automatique, commercialisation à moins de 20 km de la ferme, construction d’un bâtiment confortable pour le stockage, le tri et le lavage des légumes et surtout, beaucoup d’organisation. « Nous savons un an à l’avance quelle variété de chou nous allons planter et à quelle date. Une telle planification est indispensable en maraîchage diversifié, cela permet de faire face aux imprévus une fois que l’on a la tête dans le guidon », ajoute-t-elle.
C’est donc sereinement et en suivant leur plan prévisionnel d’entreprise que les associés entament leur deuxième saison, en augmentant petit à petit leur volume de production et leurs revenus : 500 euros par mois la première année, 700 euros la deuxième, etc. Avec toujours comme priorité le confort de travail. Leur prochain projet pour minimiser les tâches physiques et chronophages : automatiser l’ouverture des serres. « Il y a toujours du travail à faire sur une ferme, conclut Philippine. Si on se laisse dépasser, on peut vite y passer ses soirées, ses week-ends… il faut s’obliger à se dégager du temps libre si l’on ne veut pas se tuer à la tâche ! » Un conseil averti pour tous les futurs agriculteurs.
[Mise à jour le 10 juin 2019] Philippine et Benjamin se lancent dans un projet de construction d’un hangar écologique pour stocker leurs légumes et font appel au financement participatif. Voici le lien pour en savoir plus et contribuer.