Notre pain quotidien (3/3) : « Recréer de la diversité et de la richesse dans les fournils »

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Levain, gluten, variétés anciennes, bio… Rencontre avec Manuel Barthélémy, gérant de la boulangerie Cum Panis dans les Alpes de Haute-Provence, qui a décidé de faire du pain autrement. Il nous explique son positionnement de boulanger entre envie d’innover, habitudes alimentaires et préoccupations des clients.  
Manuel Barthélémy, gérant de Cum Panis
Être boulanger bio, c’est facile ?

D’abord je voudrais dire que pour moi, le bio est une évidence autant qu’une nécessité si l’on veut pouvoir inscrire notre activité dans la durabilité. Cette évidence n’est pour autant pas forcément simple à appliquer. Si vous prenez par exemple le métier de la pizza ou de la pâtisserie, faire des produits 100% bio reste compliqué du fait des difficultés d’approvisionnements des différents ingrédients nécessaires. Etre boulanger, pâtissier ou pizzaiolo en bio est une démarche qui demande de l’adaptation et de la rigueur.

 

Nous avons, dans les articles consacrés au pain sur Graines de Mane, abordé la question des types de farines utilisés. L’opposition fréquente entre pains blancs et noirs est-elle pertinente d’après vous ?

Nous avons dans notre établissement une gamme assez large en pains. On utilise aussi bien de la farine blanche de type T65, que de la semi-complète (T80) ou de l’intégrale (T110). Si l’on veut bien nourrir les consommateurs, il faut d’après moi favoriser les farines de meule et donc semi-complètes, plus riches en nutriments et sels minéraux. Ceci étant dit, il serait absurde de complètement rejeter le pain blanc sous forme de baguette ou de ficelle qui ont également d’indéniables qualités gustatives et de texture. C’est une véritable tradition de savoir-faire français qu’il faut préserver. Avoir du pain blanc dans sa gamme permet aussi d’ouvrir les portes de la boulangerie à un public qui serait difficilement venu par lui-même vers des farines intégrales ou semi-intégrales.

 

En tant que boulanger, comment vivez-vous les débats et les polémiques récurrentes sur le gluten et comment communiquez-vous sur ce sujet avec vos clients ?

Le « gluten » en soit ne veut rien dire. Il y a en réalité différents types de glutens, c’est-à-dire des protéines, plus ou moins longues et donc présupposées plus ou moins digestes. Je pense que l’on devrait sensibiliser les consommateurs à d’autres problématiques que la seule question des glutens. Les intérêts de la panification au levain naturel devraient par exemple faire l’objet d’une attention renforcée. Combiné à une fermentation longue, le levain naturel favorise grandement l’assimilation des sels minéraux et des nutriments. Il améliore également la digestibilité du gluten en amorçant sa dégradation. Par ailleurs, si le pétrissage reste une nécessité pour donner du corps à la pâte, en particulier sur les farines bio qui lèvent généralement moins bien que les conventionnelles, il favorise, lorsqu’il est intensif, l’augmentation de l’index glycémique en remaniant la configuration des glutens  et en les séparant des grains d’amidon. Il n’y aura alors plus d’obstacle à l’éclatement de ces grains à la cuisson et à leur digestion trop rapide. De plus, plus on pétrit plus on aère le pain avec un développement de films de glutens.  Au final, nous avons des pains qui se comportent plus comme des sucres rapides que lents et vont augmenter le taux de glucose dans le sang. En pétrissant moins et en laissant le temps agir pour la fermentation de la pâte, les enzymes travaillent à notre place et commencent donc à dégrader entre autres les glutens. Sur les bénéfices de ces pratiques, il y a un manque criant de communication. Heureusement d’ailleurs que le nutritionniste Christian Rémésy aborde la question dans ces divers papiers mais cela reste encore trop confidentiel. Il y aurait aussi un travail nécessaire de démonstration auprès des boulangers qui pour beaucoup pensent qu’il faut nécessairement de la levure pour faire une belle baguette française. Notre expérience à Cum Panis tend à prouver le contraire.

Boulangerie Cum Panis à Forcalquier

 

Christian Rémésy intitulait une tribune du Monde en janvier 2016 Rendons au pain toute sa saveur. Comment procéder ?

D’abord il faut reconsidérer le pain comme un aliment à part entière en recréant de la diversité et de la richesse dans les fournils. Il est clair qu’il faut travailler pour réussir à faire découvrir au consommateur des saveurs organoleptiques souvent oubliées dans le pain. Les travaux qui sont menés sur la recherche de variétés anciennes sont par exemple en ce sens intéressants. Travailler avec ces variétés nécessite une adaptation permanente des manières de panifier en fonction de la céréale reçue. Ici, nous n’en sommes pas encore là. Pouvoir proposer des pains avec des variétés anciennes aux consommateurs nécessite un apprentissage sur leur panification et un approvisionnement régulier en farines, ce qui n’est pour le moment pas forcément possible.

J’espère que petit à petit, nous arriverons à faire grandir les consciences par l’échange entre boulangers, paysans boulangers et agriculteurs. C’est un chemin passionnant mais qui va prendre du temps.

 

On peut raisonnablement considérer que la production de pains nutritifs doit être partagée au-delà d’un cercle averti de consommateurs. Comment faire pour que les techniques que vous évoquez soient largement accessibles aux consommateurs?

Dans un premier temps, il faut montrer que ces techniques sont faisables et possibles. Pour cela nous avons besoin de temps et de communication. De temps parce que la meilleure preuve c’est l’exemple et la discussion entre professionnels où chacun apporte sa pierre à l’édifice. De communication parce que ce sera le moteur qui permettra de montrer l’intérêt de ces pratiques qui peuvent en réalité simplifier la vie. Dans ma boulangerie, nous avons par exemple diminué le temps de pétrissage par deux grâce aux méthodes d’autolyse qui permettent de modifier la texture des pâtes par l’action naturelle des enzymes. J’espère que petit à petit, nous arriverons à faire grandir les consciences par l’échange entre boulangers, paysans boulangers et agriculteurs. C’est un chemin passionnant mais qui va prendre du temps.