Toujours moins chers… mais à quel prix ?

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A grands coups de publicités diffusées sur toutes les ondes et tous les écrans, les firmes alimentaires inondent chaque jour le marché de produits toujours moins chers, se jouant la guerre, au centime près. Mais à l’autre bout de la chaîne, quelles conséquences sur la production, sur la qualité des produits et le respect des acteurs de la filière ?

Trouver les « bonnes affaires », une priorité lorsque l’on fait des achats. Et en particulier dans les grandes enseignes alimentaires. D’un côté, le consommateur est de plus en plus vigilant sur l’origine ou la qualité des aliments qu’il achète, et de l’autre, ses repères sont brouillés par une multitude de facteurs : origine étrangère ou française, biologique ou non, labellisés ou pas. Lorsque la différence de prix entre un produit acheté à un producteur sur un marché et le même en supermarché est parfois du simple au double, il y a tout de même lieu de se poser des questions. Est-ce parce que le producteur peut plus facilement imposer ses prix ? Est-ce que les produits à bas coûts sont d’aussi bonne qualité que les plus chers ?

Plusieurs paramètres rentrent alors en jeu. En production légumière, l’artificialisation de la production, généralement à travers l’installation de serres chauffées, permet de faire fi des saisons et d’inonder le marché en permanence, au grand dam des paysans qui produisent « de saison ». Dans la plupart des régions de France, les petits producteurs peinent à se montrer compétitifs face à de telles structures, plus grandes et gérées pour optimiser le plus possible la production, et qui permettent d’arriver plus tôt sur le marché et d’en sortir plus tard. La taille de l’exploitation agricole et le mode de production a donc un rôle très important en termes de prix final du produit.

La main d’œuvre joue aussi un rôle car elle représente une grosse partie des charges des exploitations. Ainsi, en utilisant de la main d’œuvre étrangère parfois illégalement et donc payée à bas coût, une marge supplémentaire se dégage, soit pour optimiser la production, soit pour l’agrandir. Cette pratique est courante dans de nombreux pays européens notamment. Les entreprises françaises ont fréquemment recours à de la main d’œuvre étrangère ne payant pas ses charges en France mais dans le pays d’origine, exonérant les exploitants de ces charges. Quant aux pays étrangers où les législations sont différentes mais dans beaucoup de cas malheureusement plus laxistes que chez nous, faire travailler de la main d’œuvre étrangère est une manne pour le bilan financier du chef d’exploitation.

Jouent également fortement les marges faites par les grandes surfaces sur le prix de revient aux agriculteurs. En multipliant les intermédiaires entre l’agriculteur et le consommateur, ce prix diminue fortement. Pour 1L de lait demi-écrémé vendu 80 centimes en grande distribution, l’éleveur récupère moins de 35 centimes, alors que la majorité revient au distributeur et au vendeur. En découlent notamment les évènements récents de protestation des éleveurs, pour qui les prix qui leur sont imposés ne permettent pas la survie de leur exploitation.

Savoir lire entre les lignes

Les aliments issus de l’agriculture biologique (AB) sont de plus en plus plébiscités : +9% de consommation de produits bio en 2014 en France selon l’Agence Bio, dont 45% vendus en grande et moyenne surface. Soumise à un cahier des charges interdisant les pesticides de synthèse et respectant le travailleur, la bio défendait initialement des valeurs de proximité producteur-consommateur. Force est de constater que ces valeurs sont loin d’être défendues par les grandes enseignes, qui mêlent plus volontiers bio et discount, voire discount et… pas bio du tout.

Traitements chimiques sans protection, pas d’arrêt de travail de peur que les patrons ne les renvoient dans leurs pays d’origines, conditions de logement déplorables.

Au Maroc, d’énormes surfaces de serres dans la région d’Agadir emploient de la main d’œuvre étrangère à très bas coût et avec des droits du travail très réduits, voire absents. « Traitements chimiques sans protection, pas d’arrêt de travail de peur que les patrons ne les renvoient dans leurs pays d’origines, conditions de logement déplorables » sont les conditions décrites par Patrick Herman dans son ouvrage « Les nouveaux esclaves du capitalisme ». Ce système artificialisé produit toute l’année des aliments qui vont ensuite transiter par camion sur les 3000 et quelques kilomètres qui séparent les deux pays avant de finir sur les étalages des supermarchés. Les variétés sont choisies principalement selon des critères de rendement, de tolérance aux chocs pour le transport, de conservation… mais non de goût. C’est ainsi que l’on retrouve des tomates à 1 euro le kg, ou des fraises 3 euros le kg, avec comme seule information sur toute la chaine : « Origine Maroc ». Le constat est le même pour les produits espagnols. « On ne peut pas lutter. Ils [Les Espagnols] prennent des parts de marché très importantes aux agriculteurs, aux détaillants en fruits et légumes et à la grande distribution. Nous payons nos charges en France. Ce sont nos producteurs, la pérennité de nos exploitations qui sont en jeu», explique Robert Duffau, agriculteur et responsable national section fruits et légumes de la Coordination Rurale.

La "mer de plastiques" à Almeria (Espagne), s'étend sur 40 000 ha de serres
La « mer de plastiques » à Almeria (Espagne), s’étend sur environ 40 000 ha de serres et produit sur une zone quasi-désertique près de 3 millions de tonnes de légumes à l’année, la plaçant en tête des régions productrices de fruits et légumes en Europe.

Choisir judicieusement

Derrière ces concepts se cachent des questions pourtant simples mais parfois déroutantes pour les consommateurs qui ont perdu leurs repères sur l’agriculture. Quels sont les fruits et légumes de saison ? Est-ce que ce label est gage de qualité ? Est-ce que tous les aliments bio sont produits de la même manière ?

 La volonté politique de soutenir le bio a jusqu’ici été bien faible.

La bataille qui se joue sur les étals de nos jours est celle qui oppose le prix des produits, leur qualité et leur goût. En achetant de saison, donc en ayant une bonne connaissance du calendrier de production, on bénéficie de produits plus savoureux, tout en encourageant une agriculture moins énergivore en carburant car plus locale, et respectueuse des cycles biologiques. C’est une agriculture moins chère pour le producteur et le consommateur… mais qui oblige à ne pas manger de poivrons en hiver. Faible contrepartie, quand on voit ce que cela engendre de manger hors-saison ! Le consommateur, tout comme l’État qui détermine également les grandes orientations agricoles, ont un rôle central dans le positionnement des exploitations par rapport à l’offre et la demande. Pour ce qui est de l’État, même si la tendance actuelle est à l’intensification écologique et au respect de l’environnement, il est bien souvent sous pression des lobbies des grandes firmes semencières et de pesticides. Ainsi, « la volonté politique de soutenir le bio a jusqu’ici été bien faible », affirme Vincent Perrot, porte-voix à la FNAB (Fédération Nationale des Agriculteurs Biologiques).

Concilier qualité et quantité des produits, tout en respectant les producteurs qui nous nourrissent, la main d’œuvre qui travaille pour que nous ayons accès à ces ressources, et la qualité du milieu environnant est sans nul doute l’une des plus grandes ambitions de l’agriculture de demain. Choisir ses aliments, cet acte qui peut paraître anodin, c’est justement faire le choix de cette agriculture.